2014 : année charnière de l'innovation dans les projets urbains
Nous sommes le 30 septembre 2014. Ville Hybride promène depuis quatre ans les opérateurs publics et privés, et les nouveaux entrants des projets urbains (tiers lieu, urbanisme temporaire...) dans les friches du Grand Paris. Aux Groues, à Clichy-Montfermeil, à Montreuil, aux six-routes à La Courneuve, à Ivry Confluences, aux Ardoines, au Fort d’Aubervilliers, au 6b, aux Tartres…
L'idée est de leur montrer les signaux faibles, porteurs de nouvelles dynamiques urbaines, de nouvelles façons de penser et faire les projets (en 2013, je monte avec Julien Beller, qui est devenu un bon pote, le réseau nomad's land qui regroupe les fabriques culturelles du Grand Paris ; on ne parle pas encore de tiers lieu). Le contexte est compliqué. Ces points d'accupuncture urbain, ces espaces intersticiels s'emparent de missions d'intérêt général, mais ne disposent que de bouts de ficelle.
A cette même période, je rencontre Guy-Pierre Chomette qui randonne dans le Grand Paris pour écrire son livre "le piéton du Grand Paris", démarche précurseur de déambulation sensible. Je me reconnais totalement dans sa manière de faire, l'apprécie beaucoup et nous échangeons beaucoup sur le contenu de son livre.
Mon idée à travers ces visites de territoire : révéler l’innovation sociale et d'usages présente dans ces périmètres, au contact d’acteurs émergents, qui ont pour credo l’existant, le déjà là, l’architecture spontanée basée sur les usages, l’implication habitante, la valorisation des ressources. Avec cette conviction que l’innovation sociale et d’usages va «rebouter» l’urbanisme réglementaire, ultra-normée.
Et ça marche. Le discours porte. Le réseau Ville Hybride ne cesse de croître auprès des opérateurs public, privé et des nouveaux entrants des projets urbains, orientés innovation sociale et d'usages. Le 30 septembre 2014, cette édition du Club Ville Hybride-Grand Paris a pour thème les montages innovants.
L’affluence est à son comble car Ville Hybride est perçue comme l’interface entre les nouveaux entrants innovants et les opérateurs traditionnels, public et privé, des projets urbains (même si Ville Hybride est en fait partie prenante, organise sous les radars des transhumances en 2013 à travers Plaine Commune, facilite la création d'une bergerie à la fac de Villetaneuse avec Olivier Marcouyoux- Clinamen, vient habiter les friches du Grand Paris et vivre au contact de collectifs d'artistes et d'artisans).
Coupler innovation urbaine et Métropole du Grand Paris
C’est aussi pendant ces semaines-là que Ville Hybride monte un groupe informel nommé « usages » regroupant opérateurs public et privé, acteurs émergents (Alexandre Guilluy, Make ICI, 27è Région, Plateau urbain, Mathieu Delorme, Coloco, Bellastock, Approches, adopte une friche...). Avec l'intention d'alimenter en préconisations la mission de préfiguration de la Métropole du Grand Paris (il était pour moi impensable que le Grand Paris, dont le dessein initial était de rééquilibrer l'est et l'ouest de la métropole, ne se fasse sans que les décideurs n'aient connaissance des pépites et des pratiques innovantes présentes dans le nord-est de la métropole parisienne). Je revoie encore les lieux écarquillés de mes interlocuteurs institutionnels à la Préfecture de Région lorsque je leur parlais de friches urbaines, d’architecture spontanée, d’innovation sociale, de fabrique culturelle, d’innovation d’usages. Ecarquillés mais intéressés. Un autre Grand Paris se dévoilait sous leurs yeux qui dépassait leur perception initiale du Grand Paris se focalisant sur le monde de la recherche, des grands-comptes et des start up.
Yes We Camp et Plateau Urbain : signaux faibles en 2014
Je rencontre aussi Nicolas Détrie en 2012. Il est encore aux Ateliers de Cergy et me parle d'une idée encore floue dans son esprit (qui deviendra Yes We Camp). J'apprécie ce grand bonhomme tout frisé un peu timide. Mais nos échanges n'iront pas plus loin. La vie est une histoire d'affinités électives, partagées... A cette même période, Rabia Enckell qui venait d'arriver de Lyon, me parle d'une initiative remarquable (Plateau Urbain) et je rencontre Simon Laisney, de manière très informelle, lors d'une expo au Pavillon de l'Arsenal en 2014. Mais là aussi tout est question d'affinités. Concomitamment, Marion Waller me parle de son envie d'aller plus loin dans la préfiguration du périmètre de l'ancien hôpital Saint-Vincent de Paul entre Port Royal et Denfert Rochereau.
Des nouvelles pratiques urbaines émergentes
Le 30 septembre 2014. Un mois avant le lancement de Réinventer Paris. Il y a dans l’air un vent de renouveau. Un évènement va changer la donne. Ou plutôt la concordance entre une personne et un dispositif. L’urbanisme transitoire en est à ses balbutiements. La notion de rdc actif n’est connue que de quelques initiés. L’urbanisme tactique est un angle mort des projets urbains. La notion d’usages fait une perçée mais reste une notion floue (elle est confondue avec le fonctionnalisme, bigre 😊). L’assistance à Maitrise d’Usage est inconnue. Les tiers-lieux (qui ne portaient pas encore ce nom, nous parlions de « fabrique culturelle ») sont perçus comme des initiatives récréatives loin du sérieux des projets urbains.
2014, année charnière des nouveaux grands sujets urbains
Je décide de lancer cette édition du Club Ville Hybride-Grand Paris du 30 septembre 2014 dans ce contexte. Dans le cadre du partenariat annuel entre Ville Hybride et l’Institut CDC pour la recherche (Isabelle Laudier) et la Caisse des Dépôts Ile de France (Natalie Tessier et Emmanuel Ballu). Et c’est une véritable marée humaine qui déferle. Le réseau Ville Hybride se mobilise nettement plus que d’habitude. Sur le coup, cela me parait normal tant l’innovation frémissait un peu partout et tant Ville Hybride en était un aiguillon. Si six ans plus tard, la crise du Covid va constituer un nouvel d’accélérateur de l’innovation dans les projets urbains, l'année 2014 en est aussi une année charnière, une accélération.
Qu’est-ce qui irriguait cette innovation latente ? C’est la rencontre entre une personne, Jean-Louis Missika, nouvellement élu à l'urbanisme et au Grand Paris et un dispositif qu'il va créer avec Aurélie Cousi, Marion Waller, Sophie Rosso... : « Réinventer Paris » bien sûr. Dont les équipes de Maîtrise d'Oeuvre inclueront pour la première fois les nouveaux entrants de l'urbanisme transitoire, des tiers lieux du Grand Paris, de l'agriculture urbaine (qui ont déjà lancé pour la plupart de petites initiatives très innovantes). Les "réinventer" ont certes montré leurs limites mais ils ont initié une approche renouvelée des projets urbains (qu'il reste largement à parfaire).
Alors aujourd’hui, quand je vois des aménageurs, des promoteurs, qui ont institutionnalisé les démarches d’urbanisme transitoire, de tiers lieux, je porte un regard à la fois amusé et interrogatif quant aux intentions réelles. Les acteurs historiques en urbanisme transitoire souhaitant au passage ne plus être cantonnés dans cette case. Leur objectif : mettre l’innovation sociale au cœur des projets urbains (et pas seulement en constituer un chapitre). Conviction présente dès le départ de ces initiatives, et méconnue de l'écosystème classique (l’urbanisme transitoire ayant fait office de cheval de troie pour pénétrer la forteresse de l'urbanisme réglementaire, afin de la rénover de l’intérieur). Et en la matière, on peut dire que ça a marché. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Ce n’est que le commencement.