La question est simple en apparence mais infiniment complexe dès que posée. Il s'agit de propriété mais aussi, et peut-être surtout, de la capacité à s'approprier la ville. Propriétaire, locataire ou usager ? Espaces publics, privés, intermédiaires ou communs urbains ? Ville participative ou collaborative ? Les notions interrogent et relèvent de visions parfois antagonistes. On défriche.
Dans une France où chacun rêve de devenir propriétaire, la ville pourrait ressembler à une vaste copropriété. Ce n'est évidemment - et sans doute heureusement - pas le cas. À Paris, seulement un tiers des logements sont occupés par leurs propriétaires. S'ajoutent les bailleurs privés, les 21 % de logements sociaux, les résidences secondaires sans parler des locations saisonnières ou des investisseurs internationaux qui, de plus en plus, s'intéressent aux appartements de prestige (Paris est devenu en 2009 la ville la plus prisée par les grandes fortune de la planète). Sur le terrain de l'immobilier résidentiel, dans la métropole capitale, les habitants ne sont que minoritairement propriétaires.
Les prix qui s'envolent
A Paris comme à Londres mais aussi à Bordeaux, Brest, Mulhouse, Strasbourg ou Nantes, la pression foncière (autrement dit, les prix qui s'envolent) oblige les primo-accédants à s'éloigner des centres-villes, ce qui en outre participe à l’étalement urbain. Des remèdes se développent timidement : l'auto-promotion qui permet d'abaisser le prix d'acquisition de 10 % environ ou encore le Bail réel solidaire, conditionné à des plafonds de ressources, qui dissocie le foncier du bâti.
Très loin de ce modèle du “tous propriétaires” Vienne, la capitale autrichienne, loge 62 % des habitants de la ville dans ses HLM. Aucune crise du logement, la municipalité détient en propre 440.000 habitations. Il est ainsi très difficile de dire à quelle catégorie socio-professionnelle appartient un Viennois au seul vu de son adresse. Alors, toujours valide le modèle du "tous propriétaires" ?
De l'espace public aux communs urbain
Sortons des immeubles pour aborder l'espace public. Comme son nom l'indique, il appartient à toutes et tous. Les rues, les places, les jardins ou les parcs sont ouverts à chacun qu'il réside ou non à proximité, “dans le double respect de l'accessibilité et de la gratuité” précise Thierry Paquot, philosophe et professeur émérite à l'Institut d'urbanisme de Paris. L'espace public appartient à tous car il n'appartient à personne. A la notion de propriété se substitue celle de d'appropriation par les usages quotidiens de ceux qui habitent, travaillent ou simplement passent en ville. Il y a "droit à la ville" pour reprendre l’expression du philosophe Henri Lefebvre en 1968.
Face, notamment, à l'assèchement des finances locales ou nationales, les collectivités utilisent des partenariats public-privé pour mener à bien leurs projets d'aménagement.
"Alors que les débats sur la fabrique urbaine portaient surtout ces derniers temps sur la remontée vers l’amont des promoteurs et de l’élargissement de leur échelle d’intervention, force est de constater que la question de la gestion de l’ensemble immobilier ou du quartier après la livraison constitue un enjeu déterminant. Elle apparaît aujourd’hui comme un nouveau maillon de la chaîne de valeur de l’immobilier" indique Isabelle Baraud-Serfaty, économiste urbaine et fondatrice d'Ibicity
Et, en effet, le débat s'envenime moins pour une rue nouvelle ou une passerelle réalisée via un PPP que lorsqu'il s'agit de lieux un peu rapidement assimilés à des espaces publics, comme les centres commerciaux par exemple. Les fiascos d'Europa City ou de la Gare du Nord en témoignent. Dans le monde anglo-saxon, et à Londres notamment, les POPS (privately owned public spaces), centres commerciaux mais aussi places ou petits parcs, suscitent de houleux débats.
Collectivité ou communautés ?
La notion de "Communs urbains" s'affirme aujourd'hui pour contrer la marchandisation ou privatisation de l'espace public. Reviviscence des communs du Moyen-Âge où l'on pouvait librement glaner ou faire pâturer son troupeau, l'idée a ressurgi avec Internet et l’esprit pionnier des licences libres (creative commons). Le commun urbain dissocie la propriété de l'usage en confiant la gestion de lieux partagés à une communauté d'acteurs locaux engagés.
Labgov est une plate-forme internationale qui travaille sur les formes de gouvernance partagées et sur la ville elle-même en tant que commun. Bologne, en Italie, a approuvé en 2014 un “règlement pour l’administration partagée des communs urbains”. En 2017, la ville de Gand en Belgique, a identifié 480 communs destinés à favoriser une production urbaine partagée. L’écueil serait de transformer ces lieux d'innovation sociale en gated communities, lieu approprié par un entre-soi communautaire. C’est pourquoi la question des usages, plus que de la propriété ou de l’appartenance a émergé dans l’urbanisme. On appartient peut-être plus à la ville qu’elle ne nous appartient.