Cécile Morisson, l’aménagement humain

Il y a des phrases que l’on n’oublie pas. Quelques mots prononcés de manière anodine mais qui prendront quelques années plus tard des airs de prémonition. Dans le cas de Cécile Morisson, ce sont ceux de sa mère qui lui reviennent en tête alors qu’elle rembobine pour nous sa carrière. Après le baccalauréat, la jeune femme se dirige vers une hypokhâgne. Malgré un intérêt pour l’écriture, les lettres ne lui apportent que peu d’épiphanies, mais elle y redécouvre la géographie. Une matière « qui permet de partir du sol, du terrain, pour en décrypter les indices. Comprendre comment se construit le paysage, la ville, afin de pouvoir en tirer des éléments de prospection. » Après un an, elle décide donc de laisser derrière elle la prépa et s’inscrit en licence puis en maîtrise de géographie à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, conseillée par sa mère qui a enseigné un temps la matière. « C’est un métier qui peut déboucher sur l’aménagement », lui glisse-t-elle. « Pourquoi a-t-elle particulièrement pensé à ce type de spécialité ? Je n’en ai aucune idée. » Toujours est-il que voilà désormais vingt ans que Cécile Morisson exerce le métier d’aménageur.

Rendre actifs les usagers

Elle en découvre les subtilités lors de son premier emploi en remplacement d’un congé maternité. « C’est un métier pluridisciplinaire. On brasse du droit, de l’architecture, des éléments techniques... Et puis il y a cet aspect longue durée, qui implique de devoir se projeter et surtout de mesurer les impacts des décisions que l’on prend », explique Cécile Morisson. « Le matin on échange avec des urbanistes et l’après-midi avec une personne âgée au sujet d’une expropriation. En aménagement, on est toujours rattrapé par les décisions que l’on prend. » Alors pour exercer au mieux cette profession qui l’anime, Cécile Morisson qui est aujourd’hui directrice générale de CitAme, société d’aménagement du groupe Polylogis, place au centre de l’équation l’humain. Connaître les usagers, les associer aux décisions par l’intermédiaire de réunions publiques, aiguiser sa pédagogie, préférer des rapports d’exigence à ceux de force, privilégier le dialogue, voilà le faisceau d’indices qui dessine selon elle les contours d’un bon aménageur. « Lors de la transformation d’un quartier, lorsque l’on est locataire on peut avoir l’impression d’être captif. En les remettant au cœur du projet, notamment par la concertation, ils retrouvent une position active et sont sortis de cette assignation à subir les choses. », poursuit la directrice générale. « Le premier expert du territoire est celui qui y habite. Les habitants sont les boussoles de nos projets, on ne peut pas se réfugier derrière des concepts lorsque l’on a en face de nous des gens qui vont être les premiers impactés par notre travail. »

 « L’aménagement est une matière vivante »

Lorsque l’on demande à Cécile Morisson d’évoquer un des projets qui l’a le plus marquée au fil de sa carrière, jailli quasiment instantanément le souvenir de « l’ouverture » de La Grande Borne à Grigny alors qu’elle est responsable opérations à la Sadev « Ce projet m’a occupée pendant trois ans. Notre mission était d’ouvrir le quartier en aménageant une route et une voie de bus en site propre. Si les habitants étaient ravis d’avoir accès à une nouvelle rue, ce projet venait aussi perturber l’économie parallèle des trafiquants. », explique celle qui après ce grand projet deviendra directrice opérationnelle à la Sadev « Le contexte était très compliqué mais quand on voit l’impact pour les gens, la mise en œuvre concrète de ce travail d’équipe, ça valait vraiment le coup. » La Grande Borne mais aussi les Grands moulins à Pantin ou les Magasins Généraux au canal de l’Ourcq, autant d’endroits où Cécile Morisson a oeuvré mais préfère ne pas remettre les pieds « Si cela peut-être émouvant de revenir dans des quartiers où l’on a commis, je ne me prête que très peu à l’exercice car mon oeil est trop critique. Les projets urbains sont poreux, ce qui était une bonne idée il y a dix ans peut ne plus l’être du tout lorsque l’on y revient. Alors je laisse les autres poursuivre, l’aménagement est une matière vivante, elle prend d’autres formes, c’est un travail de relais. »

Aujourd’hui, celle qui aime se plonger dans des romans, courir ou tout simplement marcher dans la ville pour se changer les idées, travaille sur des opérations plus petites mais où elle et ses équipes sont « totalement en responsabilité du quartier » puisqu’elles vont en gérer une partie. Ceci implique alors, non seulement un lien fort avec les habitants, mais aussi une logique partenariale vertueuse avec les collectivités. « Notre travail est très concret, ce n’est pas un urbanisme vu du ciel », résume la directrice générale. Selon elle, l’enjeu phare des années à venir est l’inclusivité : être capable d’imaginer et de mettre en œuvre des projets où s’épanouit une mixité sociale mais aussi une meilleure inclusion des personnes âgées. Tout en prenant en considération l’existant. « Les ressources foncières sont limitées et nous ne pouvons pas être sourds au changement climatique, alors nous avons cet impératif de construire tout en désimperméabilisant. »

De Ville Hybride, Cécile Morisson salue la pluridisciplinarité, « le choc des cultures et des rencontres » qui permettent de mettre en lien un panel large où naviguent des personnes d’horizons professionnels différents mais qui gravitent tous autour de la fabrique de la ville, du chercheur au directeur des services techniques d’une commune. « Dans l’aménagement, on doit aller chercher de l’expertise dans différents champs, Ville Hybride permet aussi d’attiser sa curiosité. Il faut rester dans l’apprentissage permanent, c’est pour moi la clé de la réussite. Une semaine où je n’ai pas appris quelque chose est une semaine de perdue ! »