Coucou ! Qui revoilà ? La simplification !
Donald Trump s’apprête à nommer Elon Musk à la tête d’un Département de l’efficacité gouvernementale, en binôme avec un autre homme d’affaires.
« Ensemble, ces deux merveilleux Américains ouvriront la voie à mon administration pour démanteler la bureaucratie gouvernementale, réduire les réglementations excessives, réduire les dépenses inutiles et restructurer les agences fédérales »,a écrit le futur 47ème Président des États-Unis.
Le projet a le mérite d’être clair et cohérent avec la figure masculiniste d’extrême-droite choisie pour le conduire.
Comparaison n’est pas raison. Pour autant, les termes dans lesquels la transformation de l’action publique est abordée par le gouvernement de Michel Barnier - dans la continuité des quinze dernières années - résonnent forcément douloureusement.
Lors de sa prise de fonction, le nouveau ministre de la Fonction publique, de la Simplification et de la Transformation de l’action publique a donné le ton : « nous devons libérer les Français du poids des démarches administratives, et donc débureaucratiser à tous les étages », a déclaré Guillaume Kasbarian. Il s’est d’ailleurs fendu le 13 novembre 2024 d’un message de félicitations à Elon Musk sur X (en passant : vive Bluesky), suscitant les réactions immédiates des collectifs Nos services publics et Sens du service public.
Avant qu’il en soit question à ce niveau aux États-Unis, le Premier ministre Michel Barnier avait déjà fait de la simplification un sujet prioritaire. Dans une instruction aux préfets signée début novembre, il écrit : « nous avons besoin de simplifier massivement l’action publique » pour montrer « que nous avons encore collectivement la capacité à agir pour développer (le) territoire et répondre (aux) besoins (des citoyens).« Il avait préalablement déclaré : « on va fusionner des services publics. On va sans doute ne pas remplacer tous les fonctionnaires quand ils ne sont pas en contact direct avec les citoyens, tous les fonctionnaires qui partent en retraite. (..) Nous allons regrouper des structures qui exercent des activités proches. Nous allons simplifier le fonctionnement de l’État : nous pouvons gagner 1 ou 2 points de PIB en quelques années si nous simplifions nos structures."
Un éternel recommencement
Il est question de la simplification administrative à chaque nouveau gouvernement depuis François Fillon, à peu près avec le même enthousiasme. L’écart systématique entre les déclarations tonitruantes de départ et les souris accouchées à l’arrivée pourrait inciter les conseillers en communication à préconiser davantage de modestie, voire même un autre angle pour parler du futur de l’action publique - mais comme celui-ci fait l’objet de peu de travaux sérieux dans les think-tanks ou les partis, le matériel dans lequel piocher est assez pauvre et l’urgence commande.
Après un premier âge presque exclusivement tourné vers les économies budgétaires et le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, la RGPP (2007-2012) a fait davantage de place à la simplification administrative au bénéfice des usagers - avec peu de résultat. Les plus anciens se rappellent du chantier titanesque « MRCA » (pour Mesure et réducation de la charge administrative), qui ne produira pas de changements concrets dans la vie des entreprises et des particuliers. C’est cependant à cette époque que des projets intéressants prennent forme, comme le portail mon-service-public.fr.
Dans la foulée de l’élection de François Hollande, la MAP (2012-2017) prend le relais de la RGPP. Dans un premier temps, elle vise avant tout à améliorer les politiques publiques, notamment en portant sur chacune un regard partagé entre l’État, les collectivités locales et la société civile.
Las, le « choc de compétitivité » vient rapidement percuter cette ambition, fixant d’importants objectifs d’économies budgétaires - pour financer, notamment, le CICE - et mettant sur orbite un nouveau chantier de « simplification administrative » dont la portée sera, là aussi, très limitée. C’est l’époque où Arnaud Montebourg s’énervait sur les obligations de préservation du triton crêté, accusée de faire prendre du retard à tel ou tel projet économique, et où Guillaume Poitrinal - connu pour avoir parsemé le territoire de centres commerciaux géants via Unibail-Rodemco - la porte ouverte dans tous les palais de la République pour défendre l’allègement des normes environnementales et d’urbanisme. Il ne faut pas s’y tromper : la simplification est aussi synonyme de l’affaiblissement de ces normes, au service de l’artificialisation des sols et d’un modèle de développement économique et urbain dont on n’a pas fini de payer les pots cassés .
Dès l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, le Ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin propose une loi de simplification administrative. Celle-ci inspirera ces mots à Laurent Wauquiez : "les lois de simplification, croyez-moi, j’en ai vu passer. j’ai même tendance à me méfier quand on sort une loi de simplification, parce qu’à l’arrivée, en France, ça about it plutôt à compliquer les choses".
Un peu plus tard, c’est la Ministre de la transformation et de la fonction publiques Amélie de Montchalin qui a la charge de porter le flambeau du « dépoussiérage des rapports entre les Français et l’administration ». Il y a la loi ESSOC (pour un État au Service d’une SOciété de Confiance, puis la loi ASAP (Accélération et de Simplification de l’Action Publique). Droit à l’erreur, échange de données pour faciliter la mise en œuvre du « Dites le nous une fois »... ces textes ne sont pas vides d’avancées en faveur d’une meilleure relation de service public, même si les effets concrets dans la vie des Français sont loin d’être uniformes.
Surtout, malgré leur succession un peu frénétique, il semble qu’ils n’aient pas le moins du monde entamé l’urgence de simplifier ou de débureaucratiser l’action publique. Mais cette fois, ça va marcher, c’est sûr. A moins que les enjeux ne soient ailleurs.
Simplifier et débureaucratiser... mais pourquoi ?
On peut regarder cette obsession de différentes manières.
- « Simplifier », derrière une apparente évidence, peut prendre différentes formes. Un formulaire avec moins de cases est une manière de simplifier - à condition que les consignes soient écrites en langue facile à lire et à comprendre, voire traduites pour les allophones. Mais prévoir une signalétique adaptée pour accéder à un équipement public est aussi une manière de simplifier la vie des gens. Tout comme allouer deux fois plus d’agents d’accueil formés dans les services qui reçoivent du public, pour orienter et aider les gens à faire leurs démarches. Ou même rendre les algorithmes publics transparents, jouables et contestables - la Défenseure des droits a émis une nouvelle alerte à ce sujet le 13 novembre 2024.
- En quoi la simplification de l’accès est-elle synonyme d’un meilleur service, plus juste, plus équitable et mieux adapté aux besoins ? Si, fondamentalement, les services sont inéquitables et renforcent des mécanismes d’inégalité, la simplification des interfaces n’est qu’un leurre. La performance d’une démarche ne devrait pas se mesurer en nombre de clics, en temps passé ou en nombre d’inscrits (on avait parlé des indicateurs de surface dans Après le service public), mais en nombre de situations réellement améliorées. Simplifier sans s’interroger sur les objectifs sociaux de l’action publique, elle-même est dangereux.
- La simplification s’intéresse - au mieux - aux personnes en tant qu’usagers. Or, les personnes sont bien davantage. Ce sont des citoyens qui veulent faire entendre leur parole, contester des décisions, militer, revendiquer des droits. Ce sont des habitant·es, avec des attentes de proximité, de convivialité et de qualité relationnelle avec les services publics (connaître et reconnaître les agents, par exemple). Ce sont des justiciables, avec des droits et des devoirs. Insister uniquement sur la simplification et donc sur l’usager conduit à nier politiquement ces dimensions multiples et vise à ramener le service public à un service comme un autre - comme un service privé, qui pourtant n’a ni le mandat ni la patience ni les moyens de ne refuser personne et de s’adapter aux situations et besoins spécifiques de chacun·e.
- Les plus précaires sont les plus exposés aux démarches administratives. Pourtant, on s’attache rarement à vraiment à leur simplifier la vie. Du fait de leur situation qui les conduit à cumuler les aides et à devoir faire valoir leurs droits auprès de différents services publics, l’accès au chômage ou à d’autres prestations sociales expose les plus fragiles à des contraintes d’inscription, de mise à jour ou de justification toujours plus importantes. Le discours sur la simplification masque une autre réalité, invisible lorsque l’on n’est pas confronté à des accidents de la vie : les administrations et leurs opérateurs mettent en œuvre une complexification ciblée des démarches administratives, avec des efforts de contrôle qui sont également ciblés sur les plus précaires.
- Derrière les démarches, il y a des hommes et des femmes : les agents publics. Eux-mêmes sont victimes d’applications métier multiples et rarement ergonomiques, de la multiplication des dispositifs qui leur est reprochée par des usagers parfois au bord de la rupture (et donc déjà loin dans la colère et, parfois, la violence), d’une gestion RH particulièrement alambiquée qui ne favorise ni la formation, ni la progression de carrière. Le design des politiques publiques s’est toujours engagé dans la transformation publique avec une exigence de symétrie des attentions. Les agents publics sont souvent les meilleurs et les mieux placés pour simplifier leur action et la vie des usagers - c’est un des piliers, par exemple, de demarches-simplifiees.fr. Il est indispensable de redonner de l’espace (et des outils) pour que l’intelligence des agents puisse se déployer et qu’iels puissent concevoir des solutions au plus près des besoins. Simplifier réellement à un coût - en formation, en investissement dans de nouveaux outils, en ressources humaines supplémentaires, en temps libéré pour coopérer entre agents et entre acteurs publics. Nier ce coût supplémentaire, c’est s’apprêter à détruire, à créer de la perte de sens au travail, de l’épuisement, des démissions.
- Enfin, on peut prendre un peu de hauteur et se demander si, en matière d’action publique, la simplification est réellement la priorité.
Par rapport, par exemple, à son renforcement.
Ou à son adaptation - que ce soit aux bouleversements climatiques ou à la nouvelle donne sécuritaire internationale.
Ou à son européanisation.
Ou à son ouverture (où en sommes-nous, au fait, de l’ouverture des données publiques et du gouvernement ouvert ?).
Ou à sa capacité à prendre soin du vivant non-humain et plus généralement de l’environnement (entre gagner une heure par an de démarches administratives et boire de l’eau polluée ou respirer des particules fines, y a pas photo - pour ne parler que d’exemple qui, in fine, concernent quand même des humains).
Ou, pour prendre appui sur les travaux de Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Robinson récemment récompensés du Prix Nobel d’économie, à la poursuite d’institutions inclusives plutôt qu’extractives. Selon ces trois économistes, la prospérité d’une Nation ne dépend pas de sa géographie, ou de sa culture, mais de la qualité de ses institutions publiques.
Une manière d’entrer dans la transformation publique qui paraît plus stimulante et fertile qu’un énième choc de simplif'. Plus en phase, aussi, avec les défis sociaux, sécuritaires et écologiques gigantesques qui sont devant nous.
NB : les deux derniers numéros de l’infolettre présentaient des projets de « simplification » mené par Vraiment Vraiment : une plateforme au service des travailleurs sociaux dans le Calvados et une démarche partant de l’expertise métier des agents de Bordeaux Métropole et de la Ville de Bordeaux.