Du 11 au 25 mars 2024, Ville Hybride se rend dans plusieurs villes autour de la mer Baltique : Gdansk , Vilnius, Tallin et Helsinki. Dans quel but ? Pour mieux comprendre les spécificités de ces villes à travers leur histoire et leur présent. Étape 4 : Helsinki (Finlande). Photo d'un tunnel en structure bois, boulevard Pohjoinen © Ville Hybride

On a failli appeler cet article : « et si Helsinki était la ville parfaite ? » Et au bout de quelques jours, on a opté pour : « Helsinki, l’échec de la ville polycentrique ? ». Pourquoi ? Concernant les solutions face au réchauffement climatique, Helsinki compte de nombreux points positifs et on pourrait parfaitement s’en contenter. Mais aussi des aspects inconciliables avec notre façon d’appréhender l’urbanité à la française. A chaque ville sa façon de relever les défis qui se pose à elle bien sûr. Il n’y a pas de débat. Mais à l’heure de la renaturation/végétalisation de nos espaces urbains, il est important de s’accorder sur les objectifs précis recherchés. Et Helsinki constitue en la matière un point de comparaison très éclairant.

carte d'Helsinki en forme caractéristique de doigts d'une main (© Ville Hybride)

Helsinki a une superficie de 700 km2 soit l’équivalent de sept fois Paris intra-muros, et compte 650 000 habitants (1,5 million avec son agglomération) soit trois fois moins que Paris et quatre fois moins que sa métropole. Nous avons donc affaire à une ville faiblement dense. Kamppi, cœur de la ville, l’équivalent de deux arrondissements parisiens, concentre habitants, équipements et services. Les habitants d’Helsinki l’appellent « the city ». Par opposition au reste de la ville qui est essentiellement composée de forêt et de bras de mer (Helsinki a un front de mer de 130 km car la ville ressemble à une main aux cinq doigts écartés). Enfin, l’administration a les compétences en matière de planification, d’urbanisme, et de transport. De quoi traiter les enjeux à la bonne échelle. Ce qui n’est pas une mince affaire compte tenu des contraintes physiques.

quartier Toolo (© Ville Hybride)

Ville nature

Au début du séjour, l’idée de se retrouver dans une ville nature était un ravissement. Finie la densité mal fichue, les embouteillages, la pollution, le bruit, les migrations hebdomadaires pour trouver du vert ! On allait enfin pouvoir respirer en ville et arrêter de se marcher les uns sur les autres. On allait vite déchanter (mais peut-être pas dans le sens auquel vous vous attendez).

Les différents quartiers d’Helsinki intègrent donc les éléments physiques naturels (forêts, bras de mer). Ces éléments physiques et naturels séparent également les différents quartiers entre eux. En se rendant d’un quartier à un autre, on a une perception visuelle forte de cette séparation entre les quartiers. Presque comme si on se rendait entre deux communes distinctes. Mais elles appartiennent bien à la même entité administrative : Helsinki. Distinctes et unies. 

quartier Kamppi ou quand nature, matériaux et architecture ne font plus qu'un (© Ville Hybride)

Les trames verte et bleue d’Helsinki sont d’une réalité implacable. Elles structurent :

  • les morphologies urbaines de type ville nature (l’imprégnation des deux faisant ressortir parfois un paysage hybride)
  • les déplacements (véritable défi pour l’agglomération où tramways et métro s’effacent rapidement dès que l’on sort du cœur de la ville ; la voiture et le bus prenant le relais) 
chantier de refonte des réseaux à Merihaka (© Ville Hybride)

Objectif zéro émission de CO2 en 2035

La ville est en de multiples endroits un chantier à ciel ouvert. Les réseaux de chaleur urbain sont découverts dans les parcs, dans les rues, pour les adapter à la récupération des eaux usées (et ainsi chauffer tous les bâtiments, public et privé, mais aussi les rails des tramways en hiver ! ). Il est vrai qu’architecturalement le cœur de la ville est un petit bijou. L’enjeu n’est plus dans l’embellissement. Le pays vise la neutralité carbone en 2035 (soit demain). Quand la France évoque vaguement 2050 sans en faire un enjeu politique. A Helsinki, l’enjeu est donc plutôt dans tout ce qui ne se voit pas : notamment l’adaptation des infrastructures énergétiques pour atteindre la neutralité carbone. Helsinki prend à bras le corps l’adaptation de ces réseaux à la ville zéro émission (pour le plus grand confort des habitants => chez eux, au travail, dans les équipements publics, etc). Et si le confort thermique (tant l’hiver que l’été) faisait aussi l’objet d’un enjeu politique en France ? Est-ce si insensé ? Si peu porteur politiquement ?

exposition temporaire "the dreaded youth" de Karun Verma à Leipatehdas (© Ville Hybride)

 Ville cosmopolite assumée

Helsinki, contrairement à Gdansk, Vilnius et Tallinn, est typiquement la métropole cosmopolite, qui met en perspective ses multiples influences éthniques et culturelles. Sans caricature ni angélisme à l'égard de sa population extra-communautaire, Helsinki regarde droit dans les yeux les défis à relever.  L’exposition de Karun Verma, intitulée « the dreaded youth », à Leipatehdas (tiers lieu situé à Kallio, mix entre la friche Belle de Mai et le 6B) en est une illustration. On trouve aussi des chaînes de magasins éthniques comme « the natural beauty shop » qui valorisent artisanat et cosmétique d’influence sub-saharienne (produits en Finlande). Cette dimension est totalement absente des pays baltes. En aparté, cela fait du bien de revenir dans un pays qui n’appartenait pas à l’ancien bloc de l’Est car il aborde la question cosmopolite de nos sociétés de manière frontale. Contrairement aux pays de l’ancien bloc soviétique qui restent figés dans leur patriotisme nationaliste (et ce n’est pas l’agression russe en Ukraine qui va l’amoindrir, bien au contraire). Bien sûr, la montée des nationalismes est aujourd’hui un phénomène qui touche de nombreux pays, mais, dans les pays de l’ancien bloc occidental, une confrontation réelle existe entre deux visions de la société (contribuant à un débat, certes imparfait, entre les différentes franges de la société, woke et anti-woke pour la faire courte).

les queues alimentaires à Kallio pour accéder au resto du coeur finlandais (© Ville Hybride)

Une constante tout de même : dans toutes les villes traversées, ce sont les anciens quartiers populaires et ouvriers, aujourd’hui gentrifiés, qui portent les initiatives les plus remarquables en matière de nouveaux modes de vie, d’expressions artistiques et de loisirs (même si l'on peut regretter que la figure du néo citadin en bonnet et à vélo en soit l’expression la plus visible). Et qui s’emparent des problèmes les plus aigües de nos sociétés sans se mettre une pince sur le nez. C’est le cas de Hurstin Valinta, resto du cœur finlandais, qui aide et alimente grâcieusement les plus fragiles au quotidien. 

Kallio samedi après-midi (© Ville Hybride)

Néanmoins, et on va en décevoir certains, le quartier Kallio à Helsinki, dont beaucoup vantent le côté alternatif et dynamique, fait bien pâle figure en comparaison de Kreuzberg à Berlin, de Copenhague, du 11e à Paris, de Leipzig et autres anciens quartiers ouvriers gentrifiés. Même le samedi c’est mort. Les bars sont déserts, l’offre commerciale pointue quasi inexistante. Une déception.

Oodi à Kamppi (© Ville Hybride)

 Des espaces publics et des équipements publics ressources

 Par contre, la ville dans sa globalité regorge d’équipements publics et d’espaces publics ressources. Les WC publics se trouvent spontanément et sont nombreux. Ils sont propres et agréables. On trouve aussi de nombreux gymnases, musées et bibliothèques en accès libre.  Permettant de se ressourcer, avec fauteuils et snacks, car la rudesse du climat n’est pas une légende. Avec en point d’orgue Oodi, sorte de centre Pompidou local, qui fait face au Parlement finlandais. On rentre dans Oodi par une simple porte coulissante et en musique. Les espaces sont aérés, ouverts. Les matériaux en bois et en verre sont très chaleureux. C’est un lieu où on se sent bien et qui accueille tous types de publics. Les familles avec leurs enfants, les étudiants, les lecteurs occasionnels... et les gens cherchant un refuge comme nous.

Pohjoinen, ancienne artère automobile du centre d'helsinki (© Ville Hybride)

L’espace public est également revisité. L’ancienne artère centrale dédiées aux voitures, Pohjoinen, a été rendue aux piétons et aux vélos sur plusieurs kilomètres. Quel bonheur ! On y croise piétons, joggeurs, familles et cyclistes.

Les limites de la ville polycentrique et de la ville nature

Ruraux VS citadins ? Les repères perdent de leur sens à Helsinki. Dans la même journée on peut passer d’un statut à un autre. Les enfants par exemple. Leur école peut se situer dans un périmètre naturel hors de tout repère urbain. Et devenir de véritables petits Robinson Crusoé. C’est la notion même de citadin qui est questionnée à Helsinki tant la nature est inhérente à la vie quotidienne. Mais la transposition de la ville nature à la mode d’Helsinki parait impossible en France. Pourquoi ?

Nous avons trop rompu notre relation à la nature. Il y a quelque chose d’éprouvant à s’y frotter au quotidien (pour l’avoir testé en ce mois de mars, nous pouvons en témoigner). Les petits finlandais sont laissés enmitouflés, à l’extérieur, dans leur poussette, à la crèche, dès leur plus jeune âge. Pour renforcer leur système immunitaire. Ils ont développé une adaptation aux éléments naturels extrêmes. Ce qui est loin d’être le cas ailleurs (encore une fois surtout à Paris). 

Autre limite de la ville polycentrique très étirée : l’épineuse question des déplacements. Quand on s’écarte des quartiers centraux - Kamppi, Kallio et Tollo - il n’y a plus ni métro, ni tramway. Seules solutions : le bus, la voiture… et le vélo qui est très utilisé en périphérie de la ville (par tous les temps).

façade scandinave (© Ville Hybride)

Un autre élément est intransposable dans les grandes agglomérations françaises. Nous sommes samedi après-midi et il n’y a personne dans les rues aux abords des quartiers centraux. La journée est pourtant printanière. Où sont les gens ? C’est angoissant quand on est habitué à la densité (notamment parisienne). On parcourt à pied Kallio puis Toolo. Personne. Puis lassé, en tramway (pour capter plus rapidement la vie). Mais, c’est malheureusement un enchaînement de quartiers sans passants ni commerces ni cafés, qui vitalisent habituellement les artères (dans des quartiers pourtant supposés vivants). La faible densité de la ville finit en fait par se faire ressentir. Hormis l’hypercoeur, Kamppi, équivalant des 5 et 6è arrondissements de Paris, où règne une véritable ambiance urbaine, ce n’est qu’une enfilade d’avenues sans âme, sur d’interminables kilomètres. Une succession d’immeubles neufs irrémédiablement identiques et nordiques. Et puis la nature. L’eau, les forêts. Tout le temps. Partout.  Ces éléments, dont on a un a priori positif, finissent par être angoissants. Non, décidément, Helsinki ne peut pas être un modèle pour les agglomérations françaises. On finit par retomber sur le port. Émerveillé et revigoré de voir la foule des passagers descendre des ferries.

Il faut être clair. Vous aimez le sport et la nature. Vous serez comme un poisson dans l’eau à Helsinki. Vous aimez la douce quiétude de l’hiver derrière votre feu de cheminée et la vie dans les malls. Helsinki est faite pour vous. Par contre, si vous préférez les ambiances urbaines (sans pour autant vous satisfaire des îlots de chaleur à 50 degrés), alors Helsinki fera figure de ville sans relief (sauf en demeurant à Kamppi). Mais peut-on résumer la vitalité d’une ville, qui plus est une capitale complète comme Helsinki, à son quartier central et historique ?