Paris 2050, ville (re) productive ? 1/3
À l’occasion de la cession Ville Hybride du 18 octobre sur la ville productive, UltraLaborans a tenté d’imaginer à quoi Paris pourrait ressembler en 2050. Ce récit de prospective-fiction est restitué dans le média Ville Hybride à travers trois articles.
Je m'appelle Oré. Nous sommes le 17 octobre 2050, et Paris est une fournaise. Alors, ce matin, je me lève à la fraîche pour adoucir un peu mon trajet. Au programme : départ d'Ivry-sur-Seine à 5h30, pour au moins une heure à vélo jusqu'aux Dronodocks de Saint-Ouen. Ça commence doucement par la traversée de la Forêt Comestible de Boulogne-Vincennes. Même si ce n'est que du pin d'Alep, il y fait presque frais. Une poignée d'œuvriers a d'ailleurs eu la même idée que moi. Je les salue d'un signe de la tête en me demandant ce qu'ils peuvent bien faire avec leurs mulets chargés de paniers vides. Je réalise qu'ils se dirigent vers la grande oliveraie de Charenton.
J'enfile mes écouteurs cent fois rafistolés, juste à temps pour entendre l'animatrice radio annoncer : “vous êtes sur Régénéradio, et vous écoutez le doyen de l'École de Rurbanisme de Paris, le vénérable Michaël Silly, pour nous parler des liens entre les transformations du travail et l'évolution des villes” :
[Radio] "Quel est le lien entre les transformations du travail et l'évolution des villes ? C'est vrai qu'on n'a pas forcément l'habitude de poser ce genre de question, mais je crois que c'est très important. Au début des années 2020, le travail dans son ensemble était assez déraciné par rapport aux territoires. Le télétravail des activités tertiaires monopolisait beaucoup l’attention de ceux qui fabriquaient la ville. C’est d’ailleurs pour ça qu’on trouve aujourd’hui des espaces de travail collectifs dans presque tous les logements de la région. Les villes comme Paris voulaient, à l’époque, être créatives. Elles voulaient attirer les “talents”. Le travail manuel, la fabrication, ça coûtait moins cher si on les délocalisait !"
Avenue de France, je m’arrête devant les anciennes tours Duo, deux machins pharaoniques construits il y a vingt ans pour y mettre des bureaux. M’est avis que tout le monde ne se posait pas forcément la question de la transformation du travail, parce qu’à peine dix ans plus tard, quand la réforme du calcul du PIB est entrée en vigueur, on s’est aperçu que le travail tertiaire représentait plus de la moitié de l’emploi pour moins d’un tiers dédié à l'industrie. Il y avait besoin de logements et de lieux pour produire les biens de première nécessité. Les tours ont été investies progressivement par des collectifs de travailleurs indépendants, d’artistes, d’artisans. Au bout de quelques années tout ce beau monde s’est constitué en coopérative et a obtenu un bail sur toute une Tour. Ça s’appelle la Conserverie. Je ne sais pas comment ils se sont débrouillés, mais aujourd’hui il en sort des centaines de tonnes de produits fermentés destinés aux marchés parisiens. L’autre tour, c’est la Converserie : la coopérative a passé un deal avec la ville, l'État et quelques mécènes pour y créer un tiers-lieu géant dédié à l’éducation populaire et à la formation professionnelle. Il paraît que les salariés de la Conserverie disposent de 20% de leur temps de travail pour l’apprentissage. Sûr que le vieux Silly doit y donner des cours de temps à autre... Et ce dernier d'ajouter [Radio] : la ville productive, c’est une vieille utopie du monde moderne. Après la Commune de Paris, certains ont cru que les villes deviendraient le théâtre de la prise de pouvoir d’une nouvelle classe de travailleurs. Si ça n’a jamais eu lieu, c’est parce que la production industrielle fut délocalisée loin des villes européennes, et que les ouvriers urbains sont devenus une espèce en voie de disparition. Ces dernières années, j’ai été très attentif aux conséquences sociales du retour des travailleurs manufacturiers dans la métropole parisienne. Il est très clair que la relocalisation de la production a contribué au grand retour du dialogue social sur la scène politique, après la traversée du désert des années 2010-2020. Mais, le retour des œuvriers, des makers, des néo-artisans dans la ville, a surtout ravivé une utopie encore plus ancienne que le marxisme. Je parle de ceux qui, dès le XVIIIe siècle, rêvaient de créer une ville industrieuse : Ledoux et sa ville-fabrique, Fourier et son phalanstère, Godin et son familistère... Cette idée consistant à penser l’espace urbain autour de la figure du travailleur pour favoriser son émancipation, on la retrouve évidemment dans le fameux Recyclostère de Bercy, avec ses logements œuvriers, ses jardins partagés et son centre culturel dédié - le tout pensé autour d’un systèmes complexe de petites unités productives connectées les unes aux autres, et qui sont devenues le principal centre mondial d’innovation en matière d’économie circulaire hyperurbaine.
à suivre...