Paris 2050, ville (re) productive ? 2/3
À l’occasion de la cession Ville Hybride du 18 octobre sur la ville productive, UltraLaborans a tenté d’imaginer à quoi Paris pourrait ressembler en 2050. Ce récit de prospective-fiction est restitué dans le média Ville Hybride à travers trois articles. Voici le second.
J’arrive justement à Bercy, je m’arrête quelques minutes. Je savoure une gorgée d’eau tiède, adossée contre le mur du quai, et j’admire cette étrangeté architecturale qu’est le Recyclostère de Bercy. Ils ont démantelé le ministère quand j’étais môme. Pourquoi ? Parce qu’ils ont compris que la seule manière d’intégrer les limites biophysiques de Gaïa aux enjeux économiques, c’était de transformer le Ministère de l’Economie en succursale du Ministère de l’écorégénération. Alors, ils ont déménagé. Et la ville a financé un projet massif de recyclage de déchets productifs intramuros. Ça a fait grand bruit à l’époque. Les habitants étaient furax. Sous les composts suspendus, et les îlots de fraîcheur qui dévalent des façades, on devine à peine l’ancien bâtiment. Le tout ressemble à une sorte d’immense colline végétale, comprenant des circuits destinés à transporter les déchets à l’intérieur pour les transformer. Les résiduocycleurs ressemblent à de petites fourmis qui s’affairent sur leur monticule.
La production d'énergie relocalisée : un atout pour les territoires, les habitants et les salariés
Et le vieux Silly d’ajouter. [Radio] Pendant des millénaires, le problème de ceux qui fabriquaient la ville, était d’exploiter les ressources et l’énergie. Babylone et Athènes s’appuyaient essentiellement sur le travail forcé des esclaves. Au début de la modernité, les villes européennes faisaient du commerce à l'échelle planétaire, en installant progressivement colonies, comptoirs et voies maritimes sécurisées. Elles en tiraient la plus-value nécessaire à leur développement. Au début de l'ère industrielle, le charbon avait changé la donne. La concentration des exploitants inversait le rapport de force au détriment des mineurs (qui avaient tout de même arraché à force de luttes acharnées des avantages sociaux significatifs). Mais avec le pétrole, l'éloignement des sites d'exploitation avait fini par faire disparaitre la main d'oeuvre des villes européennes (et totalement infléchi le rapport de force en faveur des grandes compagnies). Ça fait maintenant cinquante ans qu’on se demande si la production d’énergie peut se faire de manière responsable, en rétribuant les salariés au coût réel. Et c’est ce que l'île-de-France tente péniblement de faire, en produisant le plus possible d'énergie sur son sol, avec ses propres travailleurs et ses sources d’énergies locales. Et quand la ville a besoin de s’approvisionner en force de travail, en ressources ou en énergie, elle le paie au coût réel.
La grande différence entre aujourd’hui et le début des années 2000, c’est qu’on ne peut plus externaliser le coût social et environnemental de la production. On ne peut pas recourir à des esclaves parisiens ou à des travailleurs ouïghours pour produire nos vêtements. En gros, on doit payer le travail, les matières premières et l’énergie à leur véritable coût.
Faire du Grand Paris une ville productive n’aurait pas été possible sans l’intervention massive des pouvoirs publics. La collaboration entre collectivités, organisations syndicales et entreprises, est devenue le pilier de l’organisation des activités productives en ville. Ce dialogue social territorial d’un nouveau genre a grandement contribué à l’émergence de filières d’excellence et permis, à l’échelle du Grand Paris, un nouvel équilibre des échanges économiques entre Paris et ses anciens territoires “servants”.
Un mec en fauteuil roulant m'accoste pour me taxer de l’eau. On discute un peu. Il a vu que je matais le Recyclostère. Il crèche dans un logement proche d'ici, avec une tripotée de résiduocycleurs. Ils ont accès gracieusement aux aménités du quartier. Il me dit qu’il est frugologicien, et il doit voir des points d’interrogation dans mes prunelles, parce qu’il précise dans la foulée que son taf consiste à concevoir des systèmes d’information économes en énergie.
Il était manutentionnaire pendant son service civique productif. Son exosquelette était défectueux et ça lui a brisé les vertèbres. On retrouve souvent ce genre d’histoire chez les personnes qui ont des métiers intellectuels aujourd’hui : soit elles sont trop vieilles pour du travail manuel, soit le travail manuel en a terminé avec elles. La ville a financé sa formation d’informaticien. Aujourd’hui, il est chargé de faire fonctionner les serveurs qui tournent dans les sous-sols du quartier. Elles effectuent les calculs d’optimisation pour l’approvisionnement en biens de première nécessité (trajets, volumes d’achat à prévoir sur douze mois etc). Les algorithmes ne tournent que la nuit, et seulement quand la température moyenne reste sous les 25°C. Pourquoi ? "Parce que ses machines ont besoin d’être refroidies", précise-t-il et que - il montre d'un signe du menton le lit boueux de la Seine - "on manque déjà grave d’eau pour refroidir les centrales nucléaires. Elle est trop chaude de toute façon". Il faut donc toujours disposer de processus décisionnels alternatifs à l’intelligence artificielle, plus économes en électricité, au cas où. Je réponds à son haussement d’épaules par un sourire, et le frugologicien repart vers le Recyclostère. Chouette type.
à suivre...