À l’occasion de la cession Ville Hybride du 18 octobre sur la ville productive, UltraLaborans a tenté d’imaginer à quoi pourrait ressembler Paris en 2050. Ce récit de prospective-fiction est restitué dans le média Ville Hybride à travers trois articles. Voici le troisième et dernier volet.
Dans le quartier d’Aligre, les rues s'animent déjà autour de moi. La douceur des bruissements de la Grande forêt me semble loin : ici, ça commence à rouler dans tous les sens, les vélotransporteurs s'embouteillent, les ateliers de réparation et les caves des vieux immeubles transformées en micro-entrepôts commencent à se mettre en mouvement. Je slalome entre des monceaux de caisses prêtes à être chargées sur des remorques portant des étiquettes libellées au nom de leur destination. Dronodocks de Saint-Ouen, Mégadocks de Rungis, Grand Marché solidaire Rive Gauche, Rive Droite...
Le vieux Silly de préciser : [Radio] Cela fait des années que le conflit central qui anime les métropoles est l’opposition entre technoprogressistes et socioprogressistes, ou, pour le dire grossièrement, entre les partisans des solutions high-tech et ceux des solutions low-tech. Pour ma part, j’aime opposer la ville productive à la ville reproductive. Paris présente en 2050, par certains côtés, les traits d’une ville reproductive, dans laquelle toutes les formes de travail qui ont longtemps été les plus méprisées - le soin, la maintenance des infrastructures, la réparation des objets et du vivant - sont devenues centrales.
Vers Ménilmontant, changement d'ambiance. Des milliers d'ateliers de fabrication jonchent les rez-de-chaussée : bois, cuir, métal, papeteries... ici, c'est encore calme à cette heure, mais dès la fin du couvre-feu, une cacophonie de bruits en tous genres résonnera à trois kilomètres à la ronde. Une longue plainte assourdissante enfle dans l'air. C'est la sirène qui annonce une hausse de niveau dans les restrictions en électricité. Je passe devant le Régénarium Saint-Louis, qui regroupe des centres de soins humains, cybernétiques et végétaux. Leur service d'urgence coordonne des interventions dans tout Paris, qu'il s'agisse d'humains ou d'appareils électroniques vitaux.
Je fais un petit détour par les Buttes Fertiles. Ici, c'est le grand rendez-vous des professionnels de l'urbiculture. J’entends Silly raconter que Paris est notamment reconnue pour son savoir-faire en matière de bétoculture. Je l’ignorais, mais c’est grâce au mégaprojet de renaturation de la dalle de La Défense que la France a acquis sa réputation. J’y suis allé il y a quelques mois, c’est vrai que ça en jette. Moi, j’avoue que l’art de créer du sol vivant sur du béton, ça m’ennuie.
Le truc le plus dingue à La Défense, pour moi, c’est la verticulture. J’ai vu un verticulteur, une fois, descendre en rappel le long des vergers suspendus de la façade d’une des plus hautes tours de l’esplanade. Impressionnant !
[Radio] Ce qui a permis cette transition radicale mais globalement pas trop violente, et j’insiste sur ce point, c’est la qualité du dialogue social dans les territoires franciliens. Avec le recul, ce qui a été le plus difficile ces dernières années pour la plupart des urbains, c’était d’accepter que nos modes de vie étaient intenables au regard des limites planétaires. On commence à peine à s’habituer aux coupures de courant, aux restrictions d’eau et à des formes de travail qui sont, à bien des égards, bien plus éprouvantes que celles que les plus anciens d’entre nous ont connu au début du siècle.
J'arrive enfin aux Dronodocks, la grande plateforme logistique où convergent trois larges couloirs aériens vers l'est, le sud et l'ouest. Ils sont vides car la plupart des drônes n’ont pas d’autorisation de vol pendant les restrictions électriques.
Moi je bosse juste à côté, sur une plateforme mobile de réemploi qui se déplace à proximité des chantiers de rénovation, ca fait bien longtemps qu’on a compris que les nouvelles constructions n’étaient plus nécessaires et surtout plus souhaitables, alors on répare la ville, on récupère, on remet en état, on dispatche les matériaux pour qu’ils soient réutilisés pour réparer d’autres bâtiments.
J’entre dans le hangar géant, je salue mes collègues, et me dirige vers mon atelier de remise en état des huisseries — dire que mes parents voulaient que je bosse dans l’immobilier….