Les épiceries et les crèches participatives ? Des modèles connus qui ont déjà fait leurs preuves. Puisqu'on les sait efficaces, peut-on étendre le concept à d'autres types d'activités ? Oui et d’ailleurs des démarches existantes mais moins visibles favorisent aussi la rencontre, le lien et l’entraide, et réhumanisent nos villes. La preuve avec les cuisines associatives de quartier et les réseaux d’échanges de savoirs. Allons y faire un tour !
Les initiatives collectives font vivre la ville avec la bonne volonté de chacun. Si les démarches participatives ont fleuri dans les domaines mercantiles et de services (épiceries, crèches, etc.), elles viennent aussi irriguer d’autres usages non-lucratifs. C’est le cas des réseaux d’échanges réciproques de savoirs (RERS) ou encore des cantines solidaires de quartier. Ces lieux ont en commun de recréer du lien social localement et, in fine, de faire cité sans que l’argent soit une condition.
“Quand on parle de démarches participatives, viennent aussi à l’esprit les consultations/participations/concertations publiques de projets urbains. Elles, relèvent plus de l’intellectuel là où d’autres initiatives participatives viennent plus directement et concrètement façonner la ville", remarque Cyril Debande, urbaniste.
Les réseaux d’échanges de savoirs : partager et apprendre des autres
Les réseaux d’échanges réciproques de savoirs (RERS) favorisent le lien dans les quartiers sans l’échange d’un kopeck. Leur crédo : toute personne a des savoirs à partager et peut en apprendre de nouveaux par d’autres. Le RERS des Lilas compte une quarantaine d’adhérents. Il suffit de partager un de ses savoirs pour bénéficier des savoirs partagés par les autres membres du réseau et de ceux de Paris 9e, Vincennes et Montreuil. Tous les savoirs se valent qu’ils soient académiques, manuels, culturels, etc. Au menu : balades de street art, discussions en langues étrangères, cercles de lecture ou de cinéma, ateliers d’écriture, de musique ou de cuisine, conseils en jardinage, marche nordique, sophrologie, confection de stylos scoubidous, etc. Les modalités d’échanges sont fixées par celui qui partage son savoir, généralement en concertation avec les bénéficiaires.
“Tout le monde sait faire quelque chose et peut le partager, c’est ce qu’on a voulu montrer à l’occasion de la première éditions des “Savoirs en fête” qu’on a organisé dans toute la ville le weekend du 9 octobre 2021 - c’est précieux dans une époque incertaine où les gens doutent”, explique Isabelle Illy, présidente du RERS des Lilas. L’ambiance était au rendez-vous : initiations de tango et spectacles de danses Bollywood en pleine rue. Certains sont ainsi repartis avec des lingettes démaquillantes cousues à la machine avec l’aide de Bernadette ou encore leur modelage réalisé à l’atelier de poterie de Catherine. “On veut animer la vie dans les quartiers, y compris les moins faciles, comme la cité des Sentes, précise Isabelle. On espère que la deuxième édition des Savoirs en fête, prévue pendant la journée sans voitures de septembre 2022, attirera plus d’habitants des cités.”
L’association favorise bien les rencontres dans le quartier. Par exemple, deux voisines depuis 7 ans ont fini par se rencontrer grâce au RERS des Lilas, puis faire connaissance et s’apporter un soutien mutuel dans la vie quotidienne. Elles ne s’étaient jamais croisées auparavant - les espaces de rencontres et de partages étant limités dans leur bâtiment flambant neuf mais qui, comme beaucoup de constructions récentes, ne favorise pas particulièrement le lien. Autres échanges de bons procédés : en remerciement du prêt de salle d’un établissement accueillant des personnes âgées, des bénévoles du réseau montent une animation musicale de chansons d’époque et de danses indo-pakistanaise pour faire voyager les aînés.
Les cuisines de quartier : préparer et manger ensemble
D’autres initiatives ravivent le lien en ville. Les Petites Cantines, réseau non lucratif de restaurants participatifs de quartier, luttent contre l’isolement et la précarité alimentaire propres aux grandes villes, explique Sébastien, bénévole actif sur la première antenne ouverte à Paris (13eme) à la mi-novembre 2021 et lauréate de l'Appel à projet “Alimentation durable et solidaire” de la Ville de Paris.
Le principe ? Une grande cuisine ouverte à tous pour cuisiner et/ou déjeuner ensemble autour d'une alimentation durable. La priorité est donnée aux produits moins carnés, bio, locaux et en circuit court avec une gestion raisonnée des ressources et des déchets. Le déjeuner est à prix libre - chacun paie ce qu’il veut, rendant ainsi le lieu accessible à toutes et à tous. “Un de nos objectifs est que cette cuisine soit encore plus inclusive en accueillant davantage de publics seuls ou précaires”, précise Sébastien.
Ariane, 26 ans, apprécie la diversité intergénérationnelle. “J’y rencontre des personnes que je n’aurais peut-être pas connues par ailleurs, comme Danielle, une ancienne directrice d’établissement scolaire retraitée qui vient cuisiner plusieurs fois par semaine”. “Je viens cuisiner et déjeuner ici comme je passe beaucoup de temps au bureau et que j’ai besoin de contacts humains”, raconte Pauline, présidente fondatrice de la cantine parisienne. Si les générations précédentes arrivaient à passer toute leur carrière de bureau dans la même boîte, aujourd’hui c'est plus difficile sans doute parce le numérique est partout dans nos vies, fait remarquer Eléonore, trentenaire. Jennifer, venue déjeuner avec deux de ses filles, est ravie de pouvoir s’y sociabiliser autour d’un repas.
Chacun peut venir cuisiner ou simplement déjeuner, selon un menu affiché à la semaine. Les barrières séparant cuistots et clients de la restauration conventionnelle n’existent plus ici. Les convives peuvent mettre la main à la pâte avec “la maîtresse de maison”, Chloé, seule salariée de la cantine. Pendant le repas ça papote entre voisins de tablée, ça se passe les plats, puis ça débarrasse, fait la vaisselle et nettoie ensemble. Le tout dans une ambiance conviviale et musicale, avec un air de grande famille pour le temps d’un repas.
Le réseau des Petites Cantines compte actuellement huit restaurants associatifs dont trois à Lyon et une dizaine en projet, notamment aux Lilas ou à Sartrouville, en région parisienne. Si de tels lieux ouverts et chaleureux existaient dans chaque ville, arrondissement, voire même quartier - allez, rêvons un peu - la solitude sévirait peut-être un peu moins en milieu urbain.