Édito : Sortons une bonne fois pour toute de l'urbanisme sous prozac !
Par Michaël Silly
« Mon angoisse c’est que vous suscitiez des espoirs inatteignables, qui génèrent au bout du compte de la déception pour les habitants ». Combien de fois me suis-je laisser entendre dire cette phrase qui révèle un tel pessimisme de la part de maitres d’ouvrages publics ? Aussi souvent que j’ai laissé entendre, qu’impliquer habitants et usagers temporaires dans les projets urbains, est générateur de dynamiques sociales et économiques ! Qui viennent enrichir l’approche publique structurante (n’est-ce pas d’ailleurs l’objectif de toute démarche structurante ? De créer les conditions du développement urbain et économique pour que les habitants, les acteurs privés puissent s’en emparer ?!).
On pourrait retourner cette citation dans sa version non pathologique. Qu’est-ce que cela donnerait ? « Ma grande joie est que vous suscitiez des initiatives parmi les habitants pour renforcer leur participation active au projet, pour ramener le temps long des projets dans le temps court des habitants, pour créer une dynamique complémentaire de la mission des acteurs publics, pour apporter du sens au projet et générer au bout du compte de la satisfaction parmi les habitants. Et si tous les objectifs ne sont pas atteints, le fait d’avoir essayé tous ensemble génèrera de toute façon des satisfactions insoupçonnées (déconnectées des projections purement normatives des projets). Une ambition commune que les habitants croyaient avoir perdu, et sur laquelle ils vont pouvoir s’appuyer dorénavant ».
Si l’on place le débat d’un point de vue moral, on peut s’interroger sur la légitimité d’un projet qui n’a pour ambition de transformer le vécu quotidien des habitants qu’à la marge (surtout lorsqu’il s’agit de projets dans des territoires fragilisés). Et comment transformer de manière sensible le vécu quotidien des habitants sans un minimum d’ambition ?
Je pourrais entendre cette affirmation si les quartiers fragilisés étaient dans une dynamique de redressement (baisse de l’insécurité, baisse du chômage…). Mais c’est tout le contraire. Ils ne font que s’enfoncer un peu plus chaque jour dans la précarité, et où le déceptif est bien réel et quotidien. Les vieilles recettes sont totalement inadaptées à l’amélioration de ces quartiers. Elles passent par de la concertation cosmétique qui consiste à présenter le projet une fois qu’il est largement ficelé. Et dans ce cas là ce n’est pas la déception qui pointe chez les habitants mais un profondément sentiment d’amertume. Une rancune tenace qui sape la relation entre habitants et élus. La participation active des habitants constitue pourtant l’une des clés de l’amélioration des projets urbains. Elle est même intrinsèquement liée à deux tendances structurantes : la baisse des dotations publiques (qui entraine un désengagement des acteurs publics et leur substitution par des acteurs associatifs, privés, investis de mission d’intérêt général) et la transition numérique et écologique qui reposent sur la contribution active des habitants et des usagers.
Etre dans une posture d’angoisse, c’est aussi être dans une position de repli, de méfiance, qui est incompatible avec la création de dynamiques urbaines et économiques. C’est se cantonner à une approche purement normative des projets qui génère des insatisfactions chroniques chez les habitants, et les assimilent au rôle de simples consommateurs d’équipements et de services. Une fuite en avant qui ne résoud rien, et qui au contraire cantonne la relation entre concepteurs et habitants, à une simple relation technique, une mise à jour des normes du bâti. C’est ce à quoi j’ai assisté lors de mon dernier passage face à un jury : « quel cahier des charges techniques préconisez-vous pour l’habitat social ? Et quelles formes urbaines sont appelées à remplacer les précédentes ? ». Une architecture qui nie l’urbanisme en somme.
Peut-être faut-il se poser les bonnes questions. Quelles sont les objectifs réels des habitants par rapport aux projets urbains ? Certes que les réalisations soient de qualité mais avant tout qu’elles contribuent par exemple à créer de la convivialité, du rapprochement, pour permettre par exemple aux parents isolés avec enfants de pouvoir s’appuyer sur leurs voisins, aux enfants de jouer dans la rue et se déplacer…sans angoisse.
L’angoisse des concepteurs infuse au sein des projets qui finissent par s’en ressentir. Changer de postulat de départ en plaçant la joie, une notion pas si ringarde et neuneu à bien y regarder, et la confiance dans les autres (pour créer la dynamique urbaine des projets) s’avèrent payantes. Elles accroissent l’ambition des projets, la meilleure compréhension des enjeux et des contraintes par les habitants (et mécaniquement leur capacité à renoncer à certains volets ou à inventer des solutions alternatives avec des modèles économiques qui ne passent pas nécessairement par du financement public).