Du 11 au 25 mars 2024, Ville Hybride se rend dans plusieurs villes autour de la mer Baltique : Gdansk , Vilnius, Tallin et Helsinki. Dans quel but ? Pour mieux comprendre les spécificités de ces villes à travers leur histoire et leur présent. Étape 2 : Vilnius (Lituanie). Photo du Palais des concerts et des sports (© Ville Hybride)

L'hôtel de Ville de Vilnius (© Ville Hybride)

Arrivé au petit matin, dans la pénombre, on est subjugué par ce décor de carte postale figé dans le temps. La ville a été épargnée par les bombardements lors de la seconde guerre mondiale. Polonaise, elle est annexée par la Russie à la fin du 18e siècle (tout comme Gdansk). 1793 constitue donc une date emblématique sur le sujet de la partition de ces territoires au profit de la Russie. Elle redevient polonaise en 1920 jusqu’à son occupation par la Wehrmarcht en 1939 puis par les soviétiques en 1944. La Lituanie se reconstitue comme État indépendant en 1918. Et en 1944, Vilnius revient dans le giron lituanien (sous domination soviétique, qui ici, comme dans les autres ex-républiques soviétiques, est resté en travers de la gorge des Lituaniens. Dans quelle proportion ? Quasi impossible de le savoir). 

Rive gauche

Tout comme Gdansk, la ville fait l’objet de la partition suivante :

Sur la rive gauche de la Vilnia se trouve le quartier historique largement investi par les touristes. Mais contrairement à Gdansk, la partie historique de Vilnius est composée de nombreux collèges et lycées qui voit son lot de transhumances quotidiennes à pied de la part des collégiens et des lycéens. C’est un spectacle étonnant et quelque part rassurant (qu’ils n’aient pas pris le pli systématique de la voiture pour parcourir quelques centaines de mètres). 

Les Halles Turgus (© Ville Hybride)

On y trouve aussi les Halles Turgus. En perte de vitesse, elles voient la partie alimentaire se réduire considérablement (surtout quand on la compare avec celles de Riga) et la partie vestimentaire bas de gamme prendre une part considérable. Ce qui donne aux halles Turgus une impression générale assez négative, avec une offre locale extrêmement réduite (l’inverse de ce qu’on peut attendre d’une halle alimentaire).  On a en fait l’impression que Les Halles Turgus ne savent plus trop sur quel pied danser, de ne pas avoir pris le pli de la nouvelle sociologie de la rive gauche de la Vilnia.

Les Halles Kalvariju (© Ville Hybride)

Les habitants historiques de la rive gauche ont en fait largement quitté cette rive, devenue inabordable pour eux, au profit de la rive droite (véritable poumon social de Vilnius, où on y trouve pour le coup des halles alimentaires, notamment la halle Kalvariju, très bien fournies à des prix bon marché). Il n’y a rien à faire. À Vilnius comme ailleurs les quartiers plateformisés génèrent des standards hors-sol. Les Halles Turgus en sont un bon exemple. Inadaptées aux touristes des plateformes en quête des standards internationaux uniformisés (hamburger et kebap), elles se meurent. Le vrai cœur battant populaire, échappant aux diktats des plateformes, c’est le marché Kalvariju.

Le quartier d'Uzupio (© Ville Hybride)

La rive gauche compte aussi son Christiania local (quartier alternatif de Copenhague qui ne l’est plus trop). C’est le quartier d’Uzupio. République auto-proclamée avec une charte des droits de l’Homme haute en couleurs (article 4 l'Homme a le droit de mourir mais ce n'est pas un devoir). 

© Ville Hybride

La gentrification du quartier d’Uzupio a aussi amené son lot de pratiques contre lesquelles les artistes d’Uzupio se sont initialement construits : la hausse des prix des logements, avec son lot de gated communities, et la privatisation progressive des espaces communs (s’il y a une expression que j’ai bien retenue lors de mon passage à Vilnius, c’est bien « privati valda », voie privée, que l’on retrouve partout).

© Ville Hybride

L’ancien ghetto juif (Vilnius était considérée comme la "Jérusalem du Nord") est entièrement réhabilité (contrairement à Cracovie par exemple où il est dans un état de délabrement prononcé). Mais la mémoire de l’Holocauste y est quasi totalement absente (le ghetto comptait pourtant 50 000 juifs, quasiment tous exterminés dans les camps de la mort).

Musée du KGB de Vilnius (© Ville Hybride)

Vilnius a son propre Musée du KGB. Qui comme tous les musées des anciennes républiques de l’Est exhalent la fibre patriotique face à l’occupant soviétique, et écartent le sujet de la collaboration avec les nazies (préférant traiter celle avec l’URSS, si l'on peut parler de collaboration, mais c'est le terme précisé). Fait historique peu connu en France : la résistance armée entre 1944 et 1953 des Lituaniens contre les soviétiques (30 000 personnes ont pris le maquis et quasiment toutes péri). L’exposition souligne l’absence de commandement unifié de ces « résistants » sans en donner les raisons (certainement dû à de profondes divergences politiques, car qu’ont en commun les anciens collabo lituaniens des nazis avec des franges plus modérées juste soucieuses de conserver leur indépendance ?). Hors sujet, la partie de l'exposition du Musée du KGB consacrée à l'occupation nazie de la Lituanie. Cette confusion se retrouve dans l'ensemble des musées sur le KGB dans les ex- Républiques soviétiques (éludant la collaboration dans le cas présent des Lituaniens avec le pouvoir nazi et la spécificité de la Shoah par rapport aux déportations soviétiques dans les goulags).

Rive droite

Sur la rive droite on trouve un patchwork mêlant habitat ancien (maison ancienne en bois), grands ensembles, zones commerciales et quartier d’affaires.

© Ville Hybride

Le quartier d’affaires est une curiosité en soi. Largement dominé par des tours de bureaux, il s’enroule littéralement dans le tissu pavillonnaire. C’est un peu comme se replonger dans le quartier de La Défense lors de sa construction dans les années 1960 : les nouvelles tours qui cohabitent avec le tissu pavillonnaire ancien. Le film « le chat » avec Gabin et Signoret l’illustre très bien. On a aussi envie de dire à l’aménageur local :

➡ne détruisez pas votre tissu pavillonnaire. Adaptez-le mais ne le détruisez pas !

➡préservez vos sols car vous en aurez besoin pour maintenir des îlots de fraîcheur

➡ne faites pas la ville par tranches monofonctionnelles. Hybridez tout !

➡ne considérez pas que la modernité c’est faire table rase du passé. Faites au contraire de l'Histoire un levier.

© Ville Hybride

Les anciens grands ensembles ont été détruits et remplacés par des immeubles sans âme dotés de salles de fitness et de commerces en soins esthétiques en rez-de-chaussée. 

© Ville Hybride

Parallèlement à cela, le patrimoine brutaliste soviétique a été effacé. Symbole d’une période que les Lituaniens veulent oublier et trop onéreux à entretenir. Subsiste néanmoins l’ancien Palais des concerts et des sports (qui n’est plus signalé sur les plans ; je l'ai trouvé par hasard). Inauguré en 1971, il a été construit sur un ancien cimetière juif (suscitant une vive émotion chez les derniers survivants de la Shoah). Aujourd’hui, l’édifice croupit dans un coin, en attendant soit  une probable destruction soit une hypothétique rénovation. Mais restaurer un édifice soviétique emblématique, demanderait une audace politique que peu d’élus sont prêts à assumer.

© Ville Hybride

Le fleuve Vilnia est parsemé de plantes qui filtrent l’eau. Leur présence est le signe que le fleuve est en bonne santé et qu’elles peuvent jouer leur rôle drainant. Quand vous en verrez autant dans la Seine, le Rhône ou la Garonne, vous pourrez être rassuré sur sa « baignabilité ».

Et demain ?

Contrairement à Gdansk, Vilnius ne s’est pas encore résolue aux standards du tourisme plateformisé (Les Halles Turgus en sont une illustration). 

Le quartier d’affaires n’a que très partiellement détruit le tissu pavillonnaire environnant encore largement présent. 

Vilnius veut-elle contribuer à inventer un nouveau modèle lui permettant de s’émanciper du rouleau compresseur des villes mono-orientées tourisme de plate forme ? Ou ne parvient-elle pas à attirer des investisseurs qui lui permettraient de faire jeu égal en la matière avec Gdansk (et autres) ? Quelles sont les intentions de la ville concernant son quartier d’affaires ? Poursuivre son développement classique ou tirer les enseignements d'un modèle cherchant à se réinventer ?

Les externalités négatives engendrés par le tourisme plateformisé (hausse des loyers, quartiers orientés mono activités autour des meublés touristiques) commencent à faire leur bonhomme de chemin chez les collectivités. Ce qui pourrait expliquer les hésitations de Vilnius. Par ailleurs, la crise du secteur de l’immobilier de bureaux freine le développement du quartier d’affaires de Vilnius. N’est-ce pas le moment opportun pour inventer un autre modèle ?