Tour de la mer Baltique (étape 3) : Tallinn métropole assumée et éclairée
Du 11 au 25 mars 2024, Ville Hybride se rend dans plusieurs villes autour de la mer Baltique : Gdansk , Vilnius, Tallin et Helsinki. Dans quel but ? Pour mieux comprendre les spécificités de ces villes à travers leur histoire et leur présent. Étape 3 : Tallinn (Estonie). Photo du quartier Maakri (© Ville Hybride)
Tallinn réussit le tour de force, sur lequel de nombreuses villes et de nombreux projets butent actuellement (faute soit de vision soit de courage politique). La métropole estonienne est un modèle de ville compacte et aérée à la fois. Elle conjugue densité et qualité du cadre de vie. Densité d'usages dans les différents périmètres, qui consolide au passage les comptes de la collectivité et des investisseurs. Avec un cadre de vie très vert et bleu (nous sommes au bord de la mer Baltique), serein, sain et cool. Oú l’on ne sait plus très bien ce qui tire la ville vers le haut. Est-ce la la vieille ville avec son lot de micro investisseurs et ses touristes ? Le quartier d’affaires ? Le port sublime et ses nouveaux quartiers de logements, d'affaires, de loisirs ? Le quartier historique s’enroule et se fragmente avec les autres quartiers de la ville. Nul cloisonnement par quartier à Tallinn. Tout est en fait imbriqué et échappe totalement aux logiques d'une approche en silos pour faire du projet. Une vision d'ensemble impulsée par la collectivité qui fédère habitants et investisseurs. Excusez du peu !
Une hybridation réussie des usages
Tout s’hybride en fait. Les lieux hype attirent autant les autochtones que les touristes. Il n’y a pas cette partition des usages par types de population comme à Gdansk et à Vilnius (et ailleurs). Tallinn réussit la mixité d’usages et de typologies de populations… à peu près partout dans la ville. Comment est-ce possible ?
La vieille ville de Tallinn forme sans doute un tout moins homogène que son équivalente à Riga et Vilnius. Car elle se découpe constamment (au nord notamment). Ce qui permet une meilleur intégration des faubourgs plus récents, ceux du port et du quartier d'affaires notamment. Il n’y a pour ainsi dire pas d’effet frontière entre les différents quartiers, ce qui permet une mixité d’usages et de populations très diverses. Pour preuve, on parcourt à pied, du cœur de la ville historique aux nouveaux quartiers du port, en quelques minutes seulement. L’expérience est d’ailleurs très agréable car on ne côtoie quasiment aucune voiture (la ville est en train de convertir les infrastructures routières du coeur de l'agglomération en espaces publics piétons et en espaces verts). La Grande Porte Côtière "Suur Rannavarav" plonge ainsi directement dans l'un des nouveaux quartiers du port sans rupture architecturale prononcée. Le tout reste étonnement très homogène entre bâti ancien et nouveau (ce dernier reprenant nombre de codes du premier).
des infrastructures routières structurantes converties en espaces piétons et en parcs
Le plan de transformation des infrastructures routières en espaces piétonnisés est très clair. Des périmètres entiers sont fermés à la circulation automobile. L’un des axes les plus spectaculaires rendus aux piétons est le boulevard Mere qui constitue l’artère structurante de la ville (le sol est carrément débitumé et les sous-bassements en béton sont cassés, cf photo ci-dessus). Mais, c'est aussi vrai pour le boulevard Gonsiori ou l’infrastructure routière est remplacée par des espaces publics très généreux pour les piétons. Ainsi que les avenues Kursi et Rumbi pour ne citer qu'elles, mais c'est un mouvement général dans l'ensemble de la ville (et les automobilistes n’ont pas l’air stressé pour autant : ni cri ni invective comme on peut le voir ailleurs pendant les phases de travaux).
Le patrimoine industriel jalousement préservé
La conservation du patrimoine industriel fait aussi l'objet d'une attention toute particulière. On le conserve, le nettoie, en attendant qu’un investisseur se manifeste. Le nouveau quartier de Noblessner (archétype du quartier réalisé avec le parfait petit manuel de la gentrification), qui se fond dans le bâti ancien des anciens arsenaux, est un modèle du genre. Le quartier assume totalement sa gentrification accélérée, avec son lot de commerces spécialisés dans les burger vegan, les brasseries artisanales arborant fièrement leurs sacs de malt en vitrine, une école Montessori, et ses incontournables passants à bonnet, jaune ou vert, longs manteaux et baskets.
Noblessner ou le meilleur élève du petit quartier gentrifié
Le nouveau quartier de Noblessner se situe dans les anciens arsenaux du port. Ancien arsenal spécialisé dans la construction de sous-marins. Fondé en 1913 par deux hommes d’affaires suédois : Nobel et Lessner. Noblessner est constitué d’un programme mixte. Les anciens bâtiments industriels et les bâtiments neufs abritent logements, école Montessorie, activités de brasserie, family event center (tout un programme !) et bureaux. Le gros atout de ce nouveau quartier c’est sa compacité et son intégration au tissu urbain existant, tout proche du cœur historique de Tallinn. Une vraie réussite, car habituellement, ces nouveaux quartiers gentrifiés d'emblée, comme à Vienne, Copenhague, Hambourg…. constituent des morceaux de villes sans lien avec le reste de la commune, souffrant d'un certain isolement (quand bien même ils sont très bien raccordés aux coeurs des agglomérations).
des tiers lieux envoyés en éclaireurs de la rénovation urbaine
Tout a l’air si simple à Tallinn pour mettre la ville aux nouveaux standards des nouveaux usages et des enjeux climatiques. Des lieux hybrides (l'EKKM par exemple) sont valorisés dans les périmètres de projets pour assurer la dynamique sociale du quartier, avant et pendant sa transformation. Ce qu'à Ville Hybride nous appelons, la "dynamique sociale" du projet.
des périmètres pavillonnaires en transformation ralentie mais constante
Les périmètres autour de la gare ferroviaire, au nord de la ville, sont des quartiers faubouriens mixtes, constitués de maisons traditionnelles en bois : de Tehnika à Harjapea. Largement pourvus en logements neufs (maxi R+4) et d’anciennes propriétés individuelles transformées en petites copropriétés. Ainsi que des équipements publics, des commerces de proximité, et des restes de petites industries. Par contre, les îlots sont fermés et privatisés. Le stationnement dévolu aux voitures demeure disproportionnée. Pour autant, le changement de morphologie et l’évolution des usages sont une réalité. C’est un tissu pavillonnaire vivant et en cours de mutation. La densification de ces périmètres pavillonnaires est une vraie source d’inspiration.
un quartier d'affaires qui n'en est pas un
L’imbrication du quartier d’affaires avec le tissu ancien est un modèle du genre à Tallinn. Si bien que parler de quartier d’affaires est erroné. Il s’agit du quartier Maakri, qui compte du logement, de l’immobilier de bureaux, des équipements publics, des commerces … et de nombreuses églises.
Et pas de dalle ici. Tout se passe au niveau de la rue. Permettant une fluidité et une compréhension intuitive de l’espace public, des cheminements (soulageant aussi le gestionnaire de coûts de maintenance prohibitifs).
Les salariés se dispersent dans les restaurants du quartier le midi, contribuant à sa vitalité et ravissant les salariés de pouvoir compter sur une offre diverse.
Les habitants profitent de la manne financière pour payer leurs équipements.
Le quartier d’affaires n’est pas coupé du reste de la ville. Il en fait partie intégrante. Le soir, le quartier continue à vivre avec les activités classiques à tout quartier (commerces, restaurants, spectacles, sports…).
les ilots traversant de Killustiku
Le quartier de Killustiku s'organise entre des grands ensembles et des immeubles de logements en maxi R+3. Le quartier est peu entretenu, mais fait notable, à l'heure des gated communities, il est constitué d'une multitude d'ilots traversants. Ce qui tranche avec le périmètre pavillonnaire autour de la gare centrale. Ces ilots sont de conception plus récentes (après guerre) et conservent son état d'esprit initial confondant espaces privés, communs et publics.
Les dernières subsistances de l’ère soviétique
En dehors des grands ensembles (anonymisés), il ne reste plus grand chose de l’héritage architecturale soviétique. Tout à été soit soigneusement détruit soit laissé dans un état de décrépitude avancée. Et l’invasion russe en Ukraine a fait disparaître les derniers signes ostensibles de l’ère soviétique. Quelques vestiges subsistent néanmoins vers Lastekodu (le marché Keskturg, les rdc commerciaux, un immeuble de logement surmonté d'une Etoile Rouge).
Et le plus emblématique de tous : le Palais Lénine des sports et de la culture, construit spécialement pour les épreuves de voile des JO de Moscou en 1980. Un monstre en béton de 400 mètres de long, reliant la ville à la mer, avec son auto-pont et son héliport intégré. Quand on demande aux jeunes d’une vingtaine d’années, zonant dans la friche, ce qu’était l’édifice : nul ne le sait.