Un collectif d'artistes a étendu son linge sur le site de l’ancienne blanchisserie industrielle aux Lilas en Seine-Saint-Denis. Son programme : en faire un espace de rencontres, de créations et de représentations artistiques. Une initiative qui pointe du doigt les grands locaux vides, en milieu urbain dense, en pleine crise du logement.
La magie de l’art va-t-elle opérer pour faire disparaître le phénomène de vacance touchant les grands sites ? Un magicien, une chanteuse, des circassiens et un inventeur d’objets “inutiles d’une importance capitale” tentent le coup. Ils ont investi l’ancienne blanchisserie, située près de la mairie des Lilas, pour créer le collectif du Tambour à vapeur, désignant ainsi le lieu, depuis la fin août 2021. Composé de dix artistes (contre six au départ), le collectif et des habitants du quartier ont retroussé leur manche pour dépoussiérer et investir les 2 500 m2 (à la louche) du site.
Un lieu culturel hybride
“Le Covid a bouleversé le monde artistique, notamment les arts vivants, rappelle Yannis, membre fondateur du Tambour à vapeur. Beaucoup d’artistes, sans possibilité de contrat ni chômage, se sont retrouvés dans la difficulté de trouver des espaces pour travailler et se loger décemment.” Pour le collectif, investir le site de l’ancienne usine est une réquisition citoyenne à l'instar d’autres squats en banlieue parisienne comme celui de l’usine de peaux EIF à Montreuil.
“Nous avons choisi Les Lilas car c’est une ville riche culturellement mais il y manque un lieu culturel hybride”, poursuit le magicien, proche de plusieurs autres collectifs à proximité dont la Gare XP et le Cirque Électrique qui apportent leur soutien au Tambour à vapeur.
“Il est important d’avoir dans la ville un lieu protéiforme où il y a un panel de possibilités dans de grands espaces : recevoir des réunions, des entraînements artistiques, du spectacle vivant (théâtre, cirque, danse, etc.), des tournages, des résidences d’artistes, des fêtes foraines, etc., précise Yannis. Les salles de répétition sont souvent très chères. Le collectif aspire à apporter une culture accessible dans un environnement de quartier.”
Un squat politique citoyen
L’histoire du site est elle-même jalonnée de combats militants. L’usine avait fermé en 2015 sur décision du fonds d'investissements Vermeer Capital, propriétaire alors du groupe Régie Linge Développement (RLD). Délocalisation et suppression de postes à la clé, les salariés de l’usine avaient manifesté et reçu - en vain - le soutien de la mairie à l’époque. Puis en 2017, le collectif des Baras, rassemblant des centaines de sans-papiers maliens, avait investi une partie du site avant d’être délogés pour qu’elle soit transformée en logements sociaux. L’autre immense partie restante du site était à l’abandon depuis.
“Nous avons contacté le propriétaire pour l’informer de notre projet de faire revivre les lieux en attendant qu’il en fasse quelque chose et il a affirmé qu’il spéculait sur le bien pour assurer sa retraite”, explique Yannis. “Il nous a proposé des conventions d’occupation, mais après avoir consulté son avocat, il a fait machine arrière en lançant une procédure d’expulsion”, rapporte l’artiste. Le collectif souhaiterait rester dans les lieux pour un temps limité, et est même prêt à payer un loyer décent au propriétaire. Il compte, par ailleurs, aussi se rapprocher de la mairie pour obtenir son soutien. Contactée par la Rédaction, la mairie n’a, pour l’instant, pas pris position sur le sujet. Mais, “un élu local à l’urbanisme et un autre à la culture sont passés aux portes ouvertes et trouvent personnellement très bien l'initiative”, indique Julien, circassien membre du collectif.
“Les lieux immenses occupés comme Le Tambour ici ou encore Le Marbré à Montreuil sont des squats politiques : ils ne profitent pas du système mais ils le remettent en question” explique Clarisse, trentenaire, familière du milieu des squats.
“Le but des squats n’est pas de bloquer un projet de vente ou de travaux - sinon ça serait une ZAD - mais de relier le problème de l’inaccessibilité immobilière du fait de l’explosion des prix à celui de la vacance des grands locaux en assurant à certains un toit et à des associations un lieu de création”, précise-t-elle.
Des événements engagés
“Les locaux sont immenses, c’est aberrant de savoir ce lieu inoccupé et fermé depuis tant d’années”, lâche Arnaud, lilasien quarantenaire venu assister au premier événement public organisé au Tambour à l'occasion de Halloween. Comme lui, des centaines de personnes étaient au rendez-vous. Le collectif a ainsi réanimer l’immense espace à l’occasion dun moment de créations et de partages au sein du quartier - invitant à s’amuser mais également à s’interroger sur des enjeux sociétaux comme le système capitaliste ou les questions de genre avec un concert rock et hip-hop queer.
Le Tambour à vapeur a accueilli d’autres événements publics et privés : des portes ouvertes (avec un free shop pour faire circuler les ressources localement), le tournage d’un clip sur des héros africains, un marché de noël mettant à l’honneur la diversité des cultures africaines, etc. “C’est fermé depuis six ans, je suis contente qu’il s’y passe des choses - ça va avec l’âme des Lilas, ville très artistique”, commente Lucienne, 91 ans, qui habite juste en face.
Le collectif a bûché et poursuit ses efforts pour rendre accessible le site au public : nettoyages, aménagements (principalement avec de la récup’), cloisonnements des espaces, validation du site par un ingénieur structures, mises en sécurité du système électrique, sorties de secours balisées, locations d’extincteurs, etc. “Il est difficile d'atteindre le niveau d'accessibilité d'un ERP, mais on essaye de s’en rapprocher au maximum par des mesures compensatoires”, assure François, membre du Tambour. Pourtant, le propriétaire reproche notamment à l’association une mise en danger du public lors de ses événements. Verdict - tambour battant - le 18 janvier 2022, devant le tribunal de proximité de Pantin statuant sur la procédure d’expulsion.