Voilà cinq ans qu’une expérimentation a débuté à Paris autour de la station de métro Château de Vincennes. Une navette autonome a d’abord été testée dans une voie à part sans circulation, puis dorénavant en centre-ville. Pour la RATP, l’un des concepteurs du projet, c’est la satisfaction qui prédomine. Pour les experts, l’avenir de la mobilité autonome reste un sujet d’interrogations, au moins pour ce qui est du transport collectif.
D’une Coccinelle victorieuse de courses automobiles sans avoir besoin des compétences de son pilote, Jim Douglas (Un amour de Coccinelle, 1968)... jusqu’à la trilogie de films d’animation Cars (2006, 2011, 2017) en passant par un taxi autonome où le chauffeur robotique est mis en pièce par Arnold Schwarzenegger dans Total Recall (1990) ou encore KITT, véhicule hors du commun et compagnon de justice de Michael Knight dans la série K 2000 (1982 – 1986)... notre univers audiovisuel est peuplé de voitures autonomes.
Des voitures autonomes qui ne sont plus seulement des machines à fantasme cinématographique mais bien des machines en mouvement. Du 23 janvier au 7 avril 2017, une navette autonome a ainsi été mise en circulation sur le pont Charles de Gaulle à Paris pour relier les gares d’Austerlitz et de Lyon. En parallèle, une autre navette avait été installée pour rallier le Parc floral à la station Château de Vincennes. Cette dernière ne croisait alors aucun autre véhicule et roulait à une vitesse moyenne de 13 km/h.
40 000 voyageurs transportés plus tard, en mars 2021, l’expérimentation est étendue à jusqu’à la Porte Jaune au cœur du Bois de Vincennes. Cette fois, la navette est intégrée au trafic routier avec notamment la traversée de l’avenue de Paris, très fréquentée. Désormais, ces navettes autonomes électriques accueillant une dizaine de passagers roulent à 20 km/h. « L’expérimentation est un véritable succès auprès des voyageurs et des villes », se félicite Côme Berbain, directeur de l’innovation à la RATP, l’un des trois acteurs du projet avec Île-de-France Mobilités et la Ville de Paris, qui tient à souligner que « plus de 15 000 km ont été parcourus sans incident depuis le lancement en 2017 ».
La prouesse technologique est indéniable. Mais se pose une question : pourquoi ne pas faire confiance aux bus traditionnels et à leurs conducteurs ? « L’idée, c’est de proposer une solution légère par rapport au bus classique, plus facilement électrifiable et répondant à une logique de transport à la demande. Ça, c’est la promesse », détaille Mathieu Chassignet, ingénieur spécialiste en mobilité durable. Côme Berbain abonde : « C’est une solution pour les demandes de mobilités non satisfaites avec l’offre existante de transport public : territoires peu denses, faibles flux, premiers et derniers kilomètres, etc. » Les premiers et derniers kilomètres, ce sont ces distances qui peuvent séparer des habitants d’une station de bus ou de train dans des zones périurbaines ou rurales. L’idée, c’est donc de désenclaver ces endroits faiblement peuplés et où les transports publics sont absents, faute d’usagers en nombres. « La navette autonome offre un service 'porte à porte' et propose des dessertes dans les zones peu denses à des conditions économiques viables », ajoute le directeur de l’innovation à la RATP.
L’utilisation de l’adjectif « viable » n’est pas dû au hasard. « Le transport n’est pas rentable, il ne vit que grâce à la subvention publique », résume Catherine Goniot, conseillère stratégique innovation, mobilité et logistique urbaines de la Métropole de Rouen-Normandie. En Seine-Maritime, plusieurs expérimentations ont également eu lieu. En 2018, des véhicules Renault Zoé électriques avaient ainsi été mis en circulation dans le quartier du Technopôle du Madrillet, à Saint-Etienne-du-Rouvray. Si Catherine Goniot confirme que « l’objectif, c’était la desserte de zones peu denses », elle pointe aussi l’avantage financier qu’offriraient des véhicules autonomes. « Le système est censé être à la fois plus efficient et moins coûteux qu’un système de ligne régulière. Il ne s’agit pas de trouver un système rentable mais moins onéreux. Dans le transport collectif, ce qui coûte cher, c’est le conducteur, la main-d’œuvre, même si ça paraît un peu cynique et difficilement audible politiquement. »
Mathieu Chassignet, ingénieur spécialiste en mobilité durable complète : « La navette autonome est vue comme une opportunité pour aller dans des endroits où ce ne serait pas rentable avec un bus. Les véhicules autonomes coûteront à terme moins cher parce qu’il n’y a pas de conducteur et que c’est petit, donc ça consomme peu d’électricité. Et par rapport au véhicule individuel, l’intérêt c’est de grouper les trajets, de faire une forme de covoiturage à l’intérieur de la navette autonome. » Mais aujourd’hui, pour acquérir un de ces bijoux de technologie, il faut, d’après Catherine Goniot, débourser 300 000 €. « C’est la situation actuelle : les véhicules coûtent encore très cher et il y a toujours un superviseur dans la navette. Aujourd’hui, on ne fait pas d’économie mais c’est normal, on est dans l’expérimentation », pondère Mathieu Chassignet.
L’autre problème, évidemment, c’est la vitesse des véhicules. Les navettes autonomes s’arrêtent au moindre risque de collision et voient leur vitesse limitée à 20 km/h. Passée la curiosité, la navette souffre encore de la comparaison avec le bus. Comme à Paris, la Métropole Rouen-Normandie veut améliorer ses véhicules autonomes. Elle va donc étendre cette année la phase de tests à des quartiers plus densément peuplés : l’île Lacroix et le quartier Saint-Sever. « La navette autonome est souvent vue comme le graal des mobilités. Sur le papier, elle coche toutes les cases », avance prudemment Mathieu Chassignet. Elle permet à la fois de rendre une mission de service public de transport vers des zones non desservies et de le faire à un coût moindre. « En revanche, est-ce que ces véhicules peuvent cohabiter avec des véhicules conduits par des humains ? Le bout du chemin, on le voit mais la trajectoire n’est pas évidente. »
Catherine Goniot l’avoue sans détour, « on est dans une vraie période de flottement sur tous les projets qui se sont développés depuis quatre-cinq ans, pas seulement sur l’autonome. Toute la recherche qui a été réalisée sur ces premières expérimentations nous annonçait un horizon de dix ans (2027) mais ça a reculé parce que les expérimentations ont mis en lumière des problèmes difficiles à résoudre. » La pandémie a également provoqué des réorientations stratégiques de plusieurs acteurs pour des questions d’économie.
Le véhicule autonome est-il donc toujours l’horizon du transport public, le « graal » évoqué par Mathieu Chassignet ? Pas si sûr à ses yeux : « Fin 2021, l’Agence de la transition écologique (Ademe, co-financeur de l’expérimentation parisienne) a sorti un gros travail de prospective sur la transition écologique don’t la mobilité. Et finalement, on ne tranche pas sur ce sujet-là. On ne dit pas 'ça va forcément se produire' ou le contraire. » En somme, rien ne dit que l’autonome parviendra à s’imposer pour un usage collectif. Pourquoi ? Parce que dans les espaces où le maillage de transports publics est faible ou absent, la concurrence avec la voiture est redoutable. En effet, tout y favorise l’utilisation des automobiles individuelles : « Des zones peu denses en véhicules, des limitations de vitesse élevées et beaucoup de parkings, parfois même en excès », énumère l’ingénieur spécialiste en mobilité durable. Proposer dans ces communes ou quartiers isolés une alternative à la voiture pour réaliser des déplacements porte-à-porte relève donc d'« un défi immense ».
Ça n’empêche toutefois pas la RATP de poursuivre ses expérimentations en région parisienne. Depuis avril, deux navettes autonomes ont été mises en circulation entre la gare du RER B de Saint-Rémy-Lès-Chevreuse (Yvelines) et le parking de Coubertin à Chevreuse. « A l’automne prochain, un bus autonome accueillera ses premiers voyageurs sur la ligne 393. Enfin, nous poursuivrons les expérimentations de Vincennes et de la gare du RER A de Rueil-Malmaison », recense Côme Berbain, directeur de l’innovation à la RATP. A Rouen, une navette autonome baptisée i-Cristal devrait fonctionner en boucle en 2022 et sera incluse au système de transports publics.