La directrice de la branche immobilière de la SNCF revendique la sortie d’un système constructiviste qui pousse les propriétaires à bâtir plutôt qu’à faire pousser sur les terrains qu’ils possèdent. La cinquantaine souriante et minutieuse, Katayoune Panahi pèse chaque mot, non par tentation de la langue de bois mais par souci de la précision.
Ecologiste ? « Je ne sais pas si c’est le bon terme, hésite-t-elle. Je me sens engagée en faveur de mon environnement et de l’environnement dans lequel non seulement moi j’évolue, mais dans lequel évoluent mes enfants, dans lequel vivront nos enfants et les générations futures. »
Aujourd’hui mère de deux filles, Katayoune Panahi est née en Iran dans les années 70. À l’été 1980, ses parents transforment des vacances en France en exil, fuyant le régime naissant des mollahs. Devenue ingénieure générale des Ponts, des eaux et des forêts, elle entame une carrière de haute fonctionnaire d’État en 1996 : deux ans à l’administration centrale du ministère de l’Équipement et des Transports, quatre à la direction départementale de l’Equipement des Yvelines et quatre autres à celle des Hauts-de-Seine.
En 2008, ses compétences lui valent d’être appelée au cabinet de Patrick Devedjian, ministre chargé de la Mise en œuvre du plan de relance pour faire face à la crise des subprimes. Deux ans plus tard, Katayoune Panahi est nommée directrice générale de l’établissement public de gestion du quartier d’affaires de La Défense et, en 2013, elle prend la direction générale des services du département des Hauts-de-Seine. Son ascension se poursuit et, en février 2021, elle rejoint le comex du Groupe SNCF en prenant la direction de SNCF Immobilier. « Je pense que j’ai le service public et l’intérêt général chevillés au corps », sourit-elle. Son exode n’y est pas étranger : « Il y a nécessairement un lien avec mon histoire. Lorsque vous avez le sentiment d’une forme de passivité, de subir les événements, sans en avoir la maîtrise, vous aimez bien pouvoir ensuite essayer de retrouver la maîtrise sur le cours des choses. Et la chose publique au sens noble du terme, la politique, la vie de la polis – la cité en grec –, c’est justement le lieu de la citoyenneté, c’est là que s’exprime la démocratie. Ce sont évidemment des sujets qui ne m’ont pas laissée insensible. »
À la SNCF, elle gouverne le deuxième plus important patrimoine foncier de France derrière celui de l’État. 30 000 hectares de foncier aménageable. 8 millions de mètres carrés de bâtiments sous gestion. De quoi faire de l’entreprise de transport public un potentiel acteur majeur de la transition écologique. Car d’après le rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat de juin 2022, le bâtiment était responsable de 18% des émissions de gaz à effet de serre en France en 2021. Après une décrue sensible des émissions de 2015 à 2018, le secteur est reparti à la hausse en 2019. Or les niveaux d’émissions de 2021 sont semblables à ceux de cette dernière année avant la crise sanitaire. Les auteurs du rapport alertent ainsi : « Le secteur des bâtiments doit accélérer son rythme de réduction en émissions pour respecter les budgets carbone futurs et les ambitions du paquet ‘Ajustement à l’objectif 55’ », une référence à l’objectif de l’Union européenne visant à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030.
Le rôle que peut endosser le deuxième propriétaire de France est donc crucial. Lequel ? « On a du foncier en cœur de ville, en général à proximité des gares donc extrêmement bien situé, dans des zones densément peuplées, où il ne reste justement plus beaucoup de foncier disponible et en général, dans les grandes villes, assez coûteux », retrace Katayoune Panahi. Si la SNCF peut changer la finalité d’une partie de ses bâtiments, c’est parce que ces terrains ont souvent été occupés « de manière non optimisée » dans les décennies après-guerre, précise la directrice de SNCF Immobilier. « A l’époque, le foncier était moins onéreux et les ressources moins rares. La SNCF avait donc pris ses aises sur ces parcelles. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’en reconstituant les besoins ferroviaires sur un petit bout de parcelle, ça permet de libérer une grande partie de celle-ci. »
Puisque les terrains sont devenus une denrée rare, le calcul est simple : en les convertissant en logements, tout près des gares, ces terrains pourraient favoriser l’usage du train au détriment de la voiture. Or selon le même rapport du Haut Conseil pour le Climat cité plus haut, les transports constituent le plus important émetteur du pays avec 30% des émissions de gaz à effet de serre nationales. Un petit tour sur le simulateur d’Agir pour la transition – un outil conçu par l’Ademe, l’Agence de la transition écologique – permet de voir que pour le même trajet de 100 km, les émissions avec le RER/transilien sont 47 fois inférieures à celles produites avec une voiture thermique. La SNCF a alors imaginé doubler la part des transports en train, la « stratégie du fois deux ». Selon le ministère de la Transition écologique, pour l’année 2019, le transport ferroviaire représentait 11% des déplacements de voyageurs. Il s’agirait donc d’atteindre les 20% en grignotant sur les 80,8% de déplacements par la route.
« C’est ce que je trouve intéressant et motivant dans ce nouveau job, s’enthousiasme Katayoune Panahi. Le groupe SNCF permet, à travers ce foncier très étendu, de répondre aux enjeux de la transition écologique et sociale. » En mai 2021, la SNCF a signé une charte avec l’État. L’objectif ? Produire 15 à 20 000 logements grâce au foncier de l’entreprise publique d’ici 2025, notamment des logements sociaux et étudiants. Dans la région Île-de-France où le projet est le plus avancé, cela correspond à 6 600 nouveaux logements possibles dont 38% de logements sociaux.
Autre exemple de faire la ville sur la ville, le 20 septembre 2022, la SNCF et ICF Habitat La Sablière ont inauguré la Tour Watt dans le treizième arrondissement de la capitale. Cette tour bâtie dans les années 70 a été restructurée pour faire place à 175 studios de 22 m² et affichant une réduction énergétique de 70%. Parmi les locataires, la SNCF a souhaité installer 70 jeunes actifs issus de structures d’hébergement dont le bail arrivait à échéance.
Dans l’arrondissement d’à côté, le douzième, la gare de Lyon a vu l’opération des Messageries être lancée le 12 septembre dernier avec des travaux d’aménagement entre la rue de Rambouillet et la rue du Charolais. « Sur les six hectares de terrain concernés, on en dédie la moitié à des espaces végétalisés et on fait aussi du logement, notamment du logement social », détaille Katayoune Panahi. Mais ça n’est pas allé de soi : « Il a fallu à notre filiale Espaces Ferroviaires des mois et des mois de négociations avec les promoteurs, les constructeurs, l’aménageur pour rogner sur les marges. » À l’origine de ces âpres négociations, un autre changement de paradigme promu par la directrice : « Le bon projet dans l'aménagement urbain, ce n'est pas forcément le projet qui techniquement est le plus pertinent ou le plus performant, c'est aussi celui qui présente la meilleure acceptabilité sociale. »
Or les préoccupations environnementales font désormais partie des priorités pour une écrasante majorité de Français. En septembre, un sondage Sociovision pour TF1 indiquait que 87% d’entre eux avaient conscience de vivre une crise environnementale. 74% disaient même souffrir d’éco-anxiété. La végétalisation des espaces, tout comme la reperméabilisation des sols pour absorber les eaux de pluie, ou la création de jardins et d’espaces vert répondent pour partie à cette urgence. « Les rapports du GIEC (ndlr : Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, un programme des Nations unies) nous le rappellent les uns après les autres, le temps nous est compté, s’assombrit Katayoune Panahi. On ne peut pas continuer à travailler uniquement avec des indicateurs économiques qui datent d’une période révolue. Il nous faut, pour pouvoir changer ce modèle, intégrer la création de valeur environnementale et même sociale dans la valorisation foncière. »
A ses yeux, cette valorisation environnementale du foncier doit être inscrite dans la loi. L’objectif est ainsi de pousser les propriétaires à construire des parcs, des bosquets ou des jardins qui, tout à la fois, représentent des puits de carbone grâce à la photosynthèse, favorisent le retour de la biodiversité, permettent une reperméabilisation des sols et, enfin, constituent des ilots de fraîcheur au moment des épisodes caniculaires comme ceux de l’été dernier. Dès lors, plusieurs pistes possibles sont aujourd’hui investiguées par ses équipes. Parmi celles-ci figurent notamment les suivantes :
1) Il y a la piste d’incitation fiscale, même si comme le note Katayoune Panahi, le contexte actuel rend difficile la mise en place de ce type de mesures. Les entreprises qui artificialisent les sols et les imperméabilisent pourraient ainsi payer une sorte de taxe environnementale foncière du même type que celle du « pollueur/payeur ». Les plus-values foncières pour les propriétaires résidant à proximité d’espaces verts pourraient faire l’objet d’une taxe spéciale en fonction de la valeur environnementale et des services rendus par ces espaces dédiés. Ce type de dispositif serait vertueux et encouragerait les propriétaires fonciers à s’engager dans des projets de renaturation.
2) Il y a aussi la piste de la compensation environnementale et des crédits carbone. « À chaque fois que vous êtes maître d’ouvrage et que vous êtes par exemple amené à réaliser des infrastructures qui dégradent la biodiversité, vous devez financer une compensation environnementale à travers des organismes agréés. » Tout comme CDC Biodiversité qui est partenaire de SNCF Immobilier, l’un de ces organismes, l’Agence des espaces verts (AEV) de la Région Ile-de-France, a été fondé en 1976 pour faire face à l’urbanisation croissante débutée pendant les Trente Glorieuses en préservant le patrimoine naturel régional. Aujourd’hui, l’Ile-de-France reste un territoire composé de 48% de terres agricoles et de 24% de forêts. L’AEV revendique ainsi « 15 000 hectares gérés et protégés ».
3) Enfin, la dernière piste à laquelle Katayoune Panahi s’attelle également, c’est celle visant à élargir le marché des crédits de CO2 aux problématiques du foncier à valeur environnementale. Le marché du carbone a été mis en place par l’Union européenne en 2005. Il « fixe une limite aux émissions de gaz à effet de serre et permet les échanges de quotas d’émissions », rappelle le site du ministère de la Transition écologique. Comment ça marche ? L’Union européenne fixe chaque année un seuil des quotas d’émission. Ces quotas sont délivrés aux 11 000 sites industriels les plus polluants de l’UE, c’est-à-dire à ceux responsables de 45% des émissions de CO2. Chaque quota carbone correspond à une tonne de CO2 (ou d’équivalent CO2) émise dans l’atmosphère. En 2020, 2,2 milliards de quotas carbone avaient ainsi été distribués. A la fin de chaque année, on fait les comptes. Chaque entreprise doit alors restituer aux autorités le même nombre de quotas d’émissions que le nombre de tonnes de CO2 qu’elle a émis. Pour ce faire, elle peut soit les acheter aux enchères publiques, soit les acheter sur le marché où d’autres entreprises vertueuses revendent celles qu’elles ont en trop. Le site LesEchos précise toutefois que « certains industriels reçoivent encore une bonne partie de leurs quotas gratuitement ». Si les industriels ou les responsables de centrales électriques ne restituent pas le nombre de quotas nécessaire, ils doivent s’acquitter d’une amende de 100 € par tonne de CO2 excédentaire. Puisque le bâtiment est l’un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre, Katayoune Panahi n’exclut pas que ce foncier à vocation écologique puisse être intégré dans les mécanismes des marchés de carbone afin de déclencher un cercle vertueux.
Une idée éminemment politique, assumée. « Je pense que c’est essentiel, quand vous êtes force de proposition auprès de politiques et d’élus, d’avoir des idées et de faire preuve d’initiative. C’est un devoir pour moi que d’essayer de formuler les propositions les plus opportunes et les plus pertinentes pour répondre aux nouveaux défis que nous avons à relever collectivement. Quand on a des idées, je pense qu’il faut les faire connaître. Ce qui compte, c’est qu’elles puissent prospérer dès lors qu’elles me semblent répondre au mieux aux enjeux de transition auxquels aujourd’hui tout le monde se trouve confronté. »