En France, les aires d'accueil réservées aux “gens du voyage” sont en général installées loin des centres urbains et plus de la moitié d’entre elles sont polluées. Une situation géographique qui traduit un racisme environnemental. C’est le constat que fait le juriste William Acker dans son livre “Où sont les gens du voyage ?”.
Le 26 septembre 2019, l’usine de Lubrizol de Petit-Quevilly près de Rouen (76), classée site Seveso, est en feu. William Acker s'inquiète du sort des habitants d’une aire d'accueil située à deux pas de ce site industriel dangereux. Les 25 familles de cette aire sont exposées aux fumées toxiques qui émanent de l’incendie et ne sont pas évacuées.
Le juriste de formation s’associe avec des collectifs d’habitants d’aires d'accueil et des chercheurs pour signer une tribune dans Libération, dénonçant la récurrence du problème de localisation des aires d'accueil, réservées aux “gens du voyage”. Si l’action est médiatisée, la tribune est critiquée par des acteurs publics, faute de chiffres pour confirmer ces affirmations.
“Le mauvais accueil se transforme en habitat indigne”
Plus d’un an après l’incident de Lubrizol, William Acker a pu appuyer la réalité qu’il dénonçait, en recensant toutes les aires d'accueil réservées aux “gens du voyage”, dans son livre "Où sont les “gens du voyage ?" ainsi que sous la forme de cartes interactives publiées sur le site Visioncarto. En France, sur les 1358 aires répertoriées par le juriste, 70% se trouvent isolées, loin des centres urbains : “J’ai brassé énormément de presse locale pour pouvoir les localiser et voir le contexte de leur création. Il y avait beaucoup de discours d’élus locaux. Certains vous disent leur volonté d’éloigner le plus possible l’aire. C’est ce facteur d’éloignement qui est central dans la caractéristique des localisations. On cherche à ce que les aires d’accueil soient le plus loin possible des centres d’habitations, des centres-villes”.
En éloignant ces espaces, les habitants se retrouvent près d’infrastructures qui produisent des nuisances.
“Il faut rapprocher les aires d'accueil d’équipements qui existent déjà pour les raccorder à moindre coûts donc on se retrouve avec des aires d'accueil qui sont à proximité de stations d'épuration, de déchèteries, de centrales électriques, de transformateurs EDF, de lignes de TGV, de l’autoroute”, détaille William Acker.
William Acker a ainsi pu établir que plus de la moitié (51%) des aires d'accueil en France sont polluées. “Cette pollution est permise car on a des règles d’urbanisme en matière d’aire d'accueil qui sont légères, qui l’ont été pendant longtemps et aussi parce que l’aire d’accueil n’est pas considérée comme une aire d’habitation puisqu’il s’agit d’une aire de stationnement temporaire. C’est pour cela qu’on se retrouve avec des aires d'accueil, à côté de sites Seveso.”
Pour comprendre l’environnement de ces espaces d'accueil sur lesquels les habitants installent leurs caravanes en contrepartie d’un loyer, il faut alors pouvoir visualiser un parking : “C’est une forme d’espace clôt avec du goudron au sol et des grillages tout autour. Il y a des emplacements qui sont tracés au sol avec un bloc sanitaire individuel. Ça c’est pour les nouvelles générations, on va dire. Les anciennes générations ont des blocs collectifs. Il y a un bloc central où il y a un ensemble de douches, de toilettes qui sont rassemblées et puis à l’entrée, il y a la maison du gardien. Quand on arrive dans certaines aires d'accueil, on a un sentiment étrange d’avoir une architecture qui ressemble à une architecture pénitentiaire”.
La loi Besson oblige (en théorie) les communes de plus de 5 000 habitants à mettre à disposition une aire d'accueil réservée aux “gens du voyage” mais ces dernières ne sont pas supposées être un lieu d’habitation permanent. “Face à la pénurie de lieux, les gens se sont fixés dessus parce que ce sont les personnes les plus précarisées parmi les gens du voyage, qui n’ont pas réussi à accéder à la propriété privée. Elles n’ont pas la force économique de bouger tous les trois mois. Les aires d'accueil se transforment en aire d’habitat et le mauvais accueil se transforme en habitat indigne.”
Un racisme environnemental
Si l’emplacement de ces aires d'accueil est parlant, il l’est d’autant plus lorsque l’on compare les emplacements des autres lieux d'accueil de l’habitat mobile. “En fonction de si on est gens du voyage ou si on ne l’est pas, on n'accède pas aux mêmes espaces et surtout on n'accède pas aux mêmes qualités d’espaces puisque les aires de camping-cars et les campings municipaux sont bien mieux localisés que les aires d'accueil”, explique William Acker qui constate que ces espaces ne sont pas accessibles aux Voyageurs. “Les campings municipaux interdisent les caravanes double essieux, ce sont les caravanes à quatre roues (NDLR : majoritairement utilisées par les Voyageurs) et la raison qui est donnée n’est jamais la même. C’est une façon de ne plus avoir de gens du voyage dans les campings, sans le dire”.
Pour le militant, lui-même issu d’une communauté de Voyageurs, qui a grandi en Seine-et-Marne sur un terrain privé “là où la ville s’arrêtait”, l’emplacement des aires d'accueil met en exergue le sujet du “racisme environnemental”. Une notion qui prend ses racines aux Etat-Unis, où des personnes victimes de discriminations raciales vivent dans des endroits davantage pollués. “Quand on s'assoit deux minutes et que l’on regarde ce que peut constituer le racisme environnemental : ce sont des espaces réservés à une partie de la population qui est appréhendée par sa race, sa culture, choisis par l’Etat et majoritairement pollués, c’est exactement le cas des aires d’accueil. On a des équipements réservés à une population, une catégorie administrative qui vise, on le sait, des personnes qu’on assimile majoritairement à des tsiganes, historiquement discriminés.”
Pour aller plus loin, le livre "où sont les gens du voyage" de William Acker est disponible en téléchargement gratuit sur le site de l'éditeur.