Alors qu’environ 80% des fleurs en France proviennent de l’étranger, des alternatives plus écologiques pour la culture de la fleur se développent en ville, au plus proche des citadins. Ces nouvelles fermes florales pourraient participer à revégétaliser l’espace urbain et à créer de nouveaux emplois.
Deux à trois fois par semaine, Johanna Cacciamani se réveille aux aurores pour se rendre à Rungis vers 4 heures. La fleuriste installée dans le 19e arrondissement de Paris sélectionne avec soin des fleurs de producteurs français et de préférence franciliens.
En hiver, elle doit regarder vers le sud de la France où les températures, plus douces, permettent de maintenir une production horticole. Cette fleuriste engagée dans une démarche éco-responsible propose ainsi des fleurs le plus souvent locales, de saison, contenant le moins de pesticides possibles. Une démarche qui demande un certain investissement par rapport à une activité de fleuriste traditionnel. « La fleur française demande beaucoup plus de travail en matière de préparation. Nous, on nettoie tige par tige et ça prend parfois une journée complète pour que l’on garde cette fleur propre et fraîche. »
Johanna Cacciamani fait partie du Collectif de la Fleur Française qui s’inspire du Slow Flower. Un mouvement qui soutient la production locale et saisonnière. Car aujourd’hui, environ 80% des fleurs vendues en France sont étrangères.
Produire et vendre, sans intermédiaire
Avant d’arriver dans l’hexagone, les fleurs issues en grande partie d’Amérique latine et d’Afrique transitent par les Pays-Bas (également gros producteur horticole). Mais cette logistique a un coût écologique. Au Kenya, par exemple, le lac Naivasha s’assèche en raison d’une culture intensive de roses qui demande de grandes quantités d’eau. « La fleur est un énième exemple de la globalisation et comme tout produit agricole, elle porte tout le poids de l’agriculture moderne. C’est intéressant de voir ça par la lucarne de la fleur qui paraît si neutre », confie Masami Charlotte Lavault.
Sur sa parcelle de 1200m2 située au pied du réservoir d’eau de Belleville à Paris, juste derrière le cimetière, cette floricultricee cultive plus de 200 espèces de fleurs sans chimie et les vend sur place, à des particuliers. « C’est le principe de la vente en direct et donc de supprimer les intermédiaires. Pour moi, ce qui est magnifique, c’est que les gens viennent sur un lieu d’exploitation, se rendent compte de ce que c’est, ça rend les choses plus concrètes, explique-t-elle. Un des grands problèmes de notre époque, c’est qu’on ne sait pas d’où viennent les choses que l’on mange, ce que l’on porte, on a complètement perdu toutes les chaînes causales de tout ce qui nous entoure. » Pendant la période hivernale, les fleurs de Masami Charlotte Lavault ne poussent plus. Cela lui permet de mettre la terre au repos et de s’occuper de son champ pour la nouvelle saison.
En Seine-Saint-Denis, une exploitation horticole poursuit une partie de sa production, sous serre, sans pour autant la chauffer. « On cultive des fleurs qui sont moins craintives du froid, c’est le cas des œillets qu’on a essentiellement pendant l’hiver », assure Nicolas Fescourt, chargé du projet Fleurs d’Halage au sein de l’association Halage.
La fleur comme outil d’urbanisme transitoire
Depuis 2019, l’association fait pousser près de 80 variétés florales différentes sur 4000 m2. Cette parcelle située sur l'Île-Saint-Denis est en réalité une ancienne friche industrielle de 3,6 hectares. L’espace avait été utilisé comme lieu de dépôt de terre de déblais à l’époque du baron Haussmann puis comme site industriel pour la voirie et le BTP, laissant un sol “inerte” et particulièrement pollué. “Il n’y avait plus de vie à l’intérieur quand on l’a récupéré”, explique Nicolas Fescourt.
L’activité horticole aide ainsi progressivement le sol à se régénérer : “Il y a une amélioration des premiers 5cm pour le moment. Et, il y a de nouveau des coccinelles, des vers de terre. Au fur et à mesure, on se rend compte que la nature reprend ses droits. L’objectif maintenant, c’est de lancer ce processus de renaturation sur encore plus d’espace.”
Pour Nicolas Fescourt, la fleur est un “outil d’urbanisme transitoire.” “Des friches comme cela, des sols pollués en Ile-de-France, il y en a énormément et ce sont des endroits sur lesquels, on ne peut pas faire d’agriculture à visée comestible”, explique-t-il. “Cultiver des fleurs permet d’occuper ces zones pendant ces moments de reconstruction de la ville, ça permet de reconstruire différemment et d’avoir un impact positif sur les sols car on va recréer de la vie.”
La fleur comme vecteur d’insertion professionnelle
L’association produit sur ce site, en moyenne 100 000 tiges par an, sans pesticides, ni engrais chimiques et a créé 15 emplois en insertion. “La fleur, outre le fait que ce soit un objet qui soit beau, valorisant et donc il y a plein d’effets sur les personnes, est un excellent support pédagogique”, détaille Nicolas Fescourt. “Cela permet de voir l’ensemble du cycle végétal, de la graine jusqu’au bouquet.”
Fleurs d’Halage travaille avec une quarantaine de fleuristes, dont Johanna Cacciamani. Tous se trouvent à environ 15 kilomètres de l’Île-Saint-Denis. Les fleurs sont coupées le matin puis livrées dans la journée en véhicule électrique. Pour rendre le système vertueux, l’association collabore avec la société de compostage Les Alchimistes. “Une fleur qui est produite chez nous va être commercialisée chez un fleuriste et tous les déchets de cette fleur vont être récupérés par les Alchimistes permettant de faire pousser les prochaines fleurs de ce même fleuriste.”
Attention : le local, ce n’est pas non plus la panacée
En plus de l’intérêt écologique de cette production, Nicolas Fescourt insiste sur l’importance de pouvoir recréer un savoir-faire horticole en Ile-de-France. Mais si produire au plus proche, de saison, sans pesticides a une véritable utilité, Masami Charlotte Lavault rappelle que le local et par extension la fleur française, n’est pas forcément un gage écologique.
Certaines fleurs produites en France peuvent aussi bien transiter par la Hollande avant de revenir dans l’hexagone et des productions sous serres peuvent être particulièrement énergivores : “Une rose de l'hémisphère nord qui est cultivée sous serre chauffée, éclairée, a un impact carbone plus important qu’une rose kényane qui est envoyée par avion mais qui n’a pas besoin d’être chauffée et éclairée pendant toute sa culture.”
Finalement, pour la floriculture, il est plus intéressant de remettre en question un système de production globalisé plutôt que de calculer le coût carbone d’une fleur, en fonction de son trajet : “Que fait-on des humains ? Que fait-on des biotopes ? Qu’est-ce que l’on encourage ? Pour moi, l’idée, ce n’est pas la fleur locale, la fleur française mais la fleur à laquelle on a bien réfléchi.”