Plus de végétaux, moins de bitumes. Les enjeux environnementaux nous amènent à redéfinir l’espace urbain, mais avons-nous réellement envie de voir de la pleine terre en pied d’immeuble ?
Historiquement, la ville est “l'antithèse de la nature”, rappelle le paysagiste et fondateur de Takahé Conseil Jean-Marc Bouillon. “La ville, c’est comment s’organiser pour lutter ensemble contre le sauvage et contre tous les désagréments du sauvage.” Progressivement, les revêtements ont donc ainsi recouvert les sols de nos villes, nous éloignant de la nature. “C’est une réponse pragmatique à un problème d’usage et de fréquentation.” précise Jean-Marc Bouillon. Concrètement, les citadins ont bitumé leurs espaces pour mieux y circuler et ne pas subir la saleté et l'inconfort de la terre brute. Pas sûr qu'à l'usage, la population urbaine soit unanimement convaincue par un retour en arrière.
La rue végétalisée comme une réponse aux enjeux climatiques
Face aux enjeux climatiques, renaturer nos sols apparaît comme une solution viable, permettant d'atténuer les îlots de chaleur, de favoriser la biodiversité ou encore de prévenir des risques d’inondations. “Il faut garder l’eau dans les sous-sols pour que la ville se mette à évapotranspirer donc rafraîchir et il faut planter des sols ouverts qui sont chargés d’infiltration, explique Jean-Marc Bouillon. Il ne faut pas rendre la ville à la nature mais il faut faire entrer la nature en ville. Une ville nature, ce n’est pas qu’une ville verte mais c’est une ville qui renoue avec un fonctionnement naturel et le premier fonctionnement naturel, c’est l’eau.”
Ceci-dit, tout est question d'échelle
Faire sauter des bouts de bitumes, ramener de la pleine terre en bas de chez soi ou même faire pousser quelques plantes entre deux pavés, est plus un moyen de renouer avec une nature qui manque au citadins qu'une façon sérieuse de les sauver du changement climatique !
“Le fait de planter les fissures de la ville, ça n’a pas d’efficacité de régulation mais ça prépare l’opinion publique en lui redonnant une expérience de nature, ça la prépare à accepter les solutions végétales qui sont les meilleures solutions”, souligne Jean-Marc Bouillon.
La pleine terre en ville pour se reconnecter avec le vivant
Aquacoop s’est donné pour objectif de promouvoir une gestion plus participative et durable des eaux. L’association s’inspire des initiatives outre-atlantique à l’instar de Depave Paradise qui encourage des collectifs d’habitants à retirer des morceaux de bitume pour remettre de la pleine terre.
À Aubervilliers, rue Edgar Quinet, Aquacoop a travaillé de concert avec les collectivités et associations pour transformer une partie du trottoir en un espace de pleine terre végétalisé. Au delà de la gestion des eaux, il s’agit d’aider les citadins à comprendre les enjeux du cycle de l’eau : “Notre gestion de l’eau a conduit à invisibiliser l’eau dans la ville, on ne sait pas bien où va et d’où vient l’eau qui ruisselle dans nos caniveaux donc notre objectif, c’est de rendre plus visible les chemins de l’eau, explique Anneli Lenica, chargée de mission au sein de l’association. Pour cela, il faut une histoire à raconter sur l’eau. On ne va pas forcément chercher des espaces avec des problématiques hydrauliques aiguës, on va s’orienter vers des techniques alternatives de gestion des eaux low tech comme typiquement, l’infiltration en pleine terre, et ça nous permet d’approcher la gestion intégrée des eaux pluviales, de façon globale.”
Nos réticences sont parfois d'ordre esthétique
À Paris, les trottoirs de l’avenue Daumesnil sont verts. Entre la chaussée et les piétons, des jardinières de pleine terre habillent ce passage très fréquenté. La végétation parfois débordante donne l’illusion d’une nature presque brute. “Ça fait négligé”, nous confie une septuagénaire habitante du quartier, venue faire quelques emplettes. Cette parisienne préférerait voir des fleurs, des espaces végétalisés plus travaillés et déplore que certains y jettent des déchets.
Dans la capitale, depuis 2015, le permis de végétaliser permet à tout habitant qui en fait la demande de jardiner en bas de chez lui, sur son trottoir (jardinières, pied d’arbre…). Des dispositifs similaires existent désormais dans d’autres villes de France, d’abord en région parisienne mais aussi à Lyon, Périgueux ou encore Chambéry. Une fois l’autorisation délivrée, la personne disposant du permis doit prendre à sa charge l’entretien régulier de son espace. Un dispositif qui n’est pas du goût de tout le monde, comme le rapporte Challenges. Sur Twitter, des internautes, utilisant le hashtag #saccageparis, pointent du doigt ces micros espaces-verts, parfois mal entretenus.
Car jardiner dans l’espace public demande un certain investissement et de la patience. Le long du boulevard de Picpus à Paris, Claire Villoteau entretient depuis plus de quatre ans, une toute petite parcelle en pleine terre. Celle qui avait pour habitude de s’occuper de son jardin à la campagne a voulu continuer l’expérience en ville, avec ses inconvénients. La septuagénaire voit fréquemment ses plantations se volatiliser et doit donc revoir ses exigences à la baisse, en matière de jardinage. En plus d’être amenée à replanter, Claire Villoteau retire deux fois par semaine, les bouts de papiers et mégots de cigarettes qui jonchent le sol. Mais pas question d’arrêter cette activité qui lui permet de créer du lien avec les riverains et de “faire plaisir” aux passants. Finalement, planter en bas de chez soi, c’est aussi de penser le lieu comme appartenant, avant toute chose, à l’espace public. Faudrait-il, peut-être, s’inspirer des villes néerlandaises où des micro-jardins en pied d’immeuble, entretenus par des particuliers et accessibles à tous, font partie intégrante du paysage urbain.